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Dans la r茅gion de l鈥橧turi au Congo, les casques bleus de l鈥橭NU d茅sarment des miliciens : les communaut茅s locales accueillent la paix avec soulagement mais constatent que la justice est un objectif lointain.

Photo: UNDP

Apr猫s des ann茅es de guerre, des centaines d鈥檈x-combattants des milices locales sortent des for锚ts de l鈥橧turi, lointaine province du nord-est de la R茅publique d茅mocratique du Congo (RDC). 鈥淟e temps de la guerre est fini. C鈥檈st maintenant l鈥檋eure de reconstruire notre pays鈥�, a d茅clar茅 le Colonel Mathieu Ngujolo, alors que les membres de la milice qu鈥檌l commandait rendaient leurs armes dans le village de Kobu.

Au cours de cette derni猫re phase du programme de d茅sarmement, d茅mobilisation et r茅insertion (DDR) de la RDC, 4 500 membres de trois des milices de l鈥橧turi, qui ont sign茅 fin 2006 un accord avec le Gouvernement, s鈥檃ppr锚tent 脿 d茅poser les armes. Ils rejoindront plus de 100 000 combattants d鈥檃utres factions qui sont retourn茅s 脿 la vie civile ou ont int茅gr茅 la nouvelle arm茅e nationale aux termes des accords de paix pr茅c茅dents.

Une douzaine de proc猫s ont commenc茅 dans le pays pour juger des Congolais accus茅s de crimes de guerre. Un des principaux chefs de milice de l鈥橧turi, Thomas Lubanga, passe actuellement devant la Cour p茅nale internationale (CPI) de La Haye, soutenue par l鈥橭NU. Mais jusqu鈥櫭� pr茅sent, le nombre total de pr茅venus est rest茅 faible dans un pays o霉 on estime que 3 脿 4 millions de personnes, dont une grande majorit茅 de civils, ont p茅ri au cours d鈥檜ne d茅cennie de conflit. Et comme pour leurs pr茅d茅cesseurs d茅mobilis茅s, il est probable que tr猫s peu de miliciens de l鈥橧turi r茅pondront devant un tribunal des crimes qu鈥檌ls auraient commis durant la guerre.

De nombreux habitants de l鈥橧turi se contentent pour l鈥檌nstant du r茅tablissement de la paix. John Tibamwenda, chef de district de Bunia, la capitale de la province, a comment茅 au cours d鈥檜ne c茅r茅monie de d茅mobilisation et de destruction d鈥檃rmes : 鈥淣ous avons travers茅 la guerre. Nous avons perdu nos parents, nos fr猫res et nos s艙urs. Nous avons souffert les pires atrocit茅s. Il est maintenant temps de tourner la page."

Cependant, en RDC comme dans d鈥檃utres pays africains qui sortent de la guerre, nombreux sont ceux qui se demandent aussi si la paix doit 锚tre r茅tablie aux d茅pens de la justice. Le d茅sarmement et la d茅mobilisation signifient-ils n茅cessairement l鈥檌mpunit茅 pour les auteurs de pillages, de viols et de meurtres qui ont terroris茅 les populations? Esp猫re-t-on que les communaut茅s qui ont 茅t茅 leurs victimes les accueillent 脿 leur retour ?

Par opposition, est-ce que des poursuites plus vigoureuses contre les auteurs pr茅sum茅s des pires atrocit茅s mettraient en danger les efforts de paix, comme le pensent certains m茅diateurs et analystes? Est-ce que les combattants h茅siteraient alors 脿 d茅poser leurs armes?

Des villageois 脿 un tribunal populaire 鈥済acaca鈥� au Rwanda : la justice est particuli猫rement importante听dans les communaut茅s locales pour assurer la r茅conciliation.

Photo: Reuters / Antony Njuguna

Diff茅rents objectifs et int茅r锚ts

Les participants 脿 la deuxi猫me conf茅rence internationale sur le d茅sarmement, la d茅mobilisation et la r茅insertion ainsi que la stabilit茅 en Afrique, tenue 脿 Kinshasa, du 12 au 14 juin (voir encadr茅), ont d茅battu de ces questions. Organis茅e par le Gouvernement congolais et le Bureau du Conseiller sp茅cial pour l鈥橝frique de l鈥橭NU, cette r茅union a rassembl茅 des experts et des organisateurs de programme de DDR de toute l鈥橝frique.

Bien que de nombreux processus de paix en Afrique comprennent aujourd鈥檋ui, sous une forme ou une autre, une op茅ration de DDR, les poursuites judiciaires contre les auteurs de crimes de guerre et de violations des droits de l鈥檋omme ont eu tendance 脿 prendre du retard, rapporte Alpha Fall, Associ茅 principal au Centre international pour la justice transitionnelle (CIJT), ONG de New York.

M. Fall note que ce retard est en partie d没 au fait que le d茅sarmement et la d茅mobilisation sont consid茅r茅s comme des priorit茅s imm茅diates pour la s茅curit茅 alors que les m茅canismes de 鈥渏ustice transitionnelle鈥� sont longs 脿 mettre en place, surtout dans des pays ravag茅s par la guerre qui n鈥檕nt qu鈥檜ne faible organisation judiciaire et de nombreux autres besoins pressants. (Le terme de 鈥渏ustice transitionnelle鈥� est utilis茅 par de nombreux d茅fenseurs des droits de l鈥檋omme pour se r茅f茅rer aux mesures prises au cours de la p茅riode de transition qui suit la fin d鈥檜ne guerre ou le renversement d鈥檜ne dictature).

Ce retard est aussi d没 aux objectifs diff茅rents des programmes de DDR et de la justice transitionnelle. 鈥淟es programmes de DDR profitent aux combattants, note M. Fall, alors que les initiatives de justice transitionnelle se concentrent sur les victimes. De plus ces groupes distincts ont eux-m锚mes des objectifs diff茅rents : les victimes cherchent 脿 faire 茅tablir des responsabilit茅s. Les ex-combattants cherchent principalement 脿 minimiser ou 脿 r茅duire leurs responsabilit茅s."

N茅anmoins, ajoute M. Fall, les programmes de DDR et la justice transitionnelle ont des objectifs 脿 long terme en commun : restaurer l鈥橢tat de droit, r茅tablir la confiance, pr茅venir de nouvelles violences et r茅concilier les communaut茅s. Une plus grande coordination entre les deux processus devrait contribuer 脿 les faire avancer tout en r茅duisant au minimum les compromis et les tensions qui pourraient se manifester.

Amnistie ou poursuites ?

C鈥檈st la question de l鈥檃mnistie qui suscite le plus de controverses. Les proclamations d鈥檃mnistie ont 茅t茅 fr茅quentes dans le cadre des accords de paix conclus en Afrique, en Am茅rique latine et ailleurs, l鈥檕bjectif 茅tant souvent d鈥檌nciter les factions en conflits 脿 participer au processus de paix. En Afrique du Sud, apr猫s la fin de l鈥檃partheid en 1994, on a offert l鈥檃mnistie 脿 ceux qui confessaient publiquement leurs crimes.

Pendant les derni猫res ann茅es de la guerre civile en Alg茅rie, les offres d鈥檃mnistie faites individuellement aux insurg茅s par le gouvernement ont r茅ussi 脿 faire d茅poser les armes 脿 des milliers d鈥檈ntre eux. De m锚me, une amnistie a figur茅 sous une forme ou une autre dans les accords de paix sign茅s en Sierra Leone, au Lib茅ria, en RDC et dans d鈥檃utres pays.

L鈥橭uganda a adopt茅 en 2000 une loi d鈥檃mnistie qui garantissait 脿 ceux qui renon莽aient 脿 la violence un ensemble de mesures de r茅insertion et la promesse de ne pas 锚tre poursuivis. En d茅cembre 2006, environ 21 000 membres d鈥檜ne demi-douzaine de groupes rebelles avaient d茅cid茅 d鈥檃ccepter cette offre, dont quelque 15 000 combattants de l鈥橝rm茅e de r茅sistance du Seigneur (LRA), le groupe qui depuis des ann茅es semait la d茅vastation et provoquait des d茅placements de population dans le Nord de l鈥橭uganda. Dans les communaut茅s o霉 la violence s鈥檈st att茅nu茅e, beaucoup consid猫rent l鈥檃mnistie comme un outil important pour r茅tablir la paix et retrouver les enfants qui avaient 茅t茅 enlev茅s par les rebelles.

Cependant, les militants des droits de l鈥檋omme estiment que ne pas poursuivre ceux qui ont commis les pires atrocit茅s revient 脿 ignorer les souffrances de leurs victimes, 脿 nuire 脿 long terme 脿 la r茅conciliation et 脿 perp茅tuer une culture de l鈥檌mpunit茅. Ils soulignent aussi que, selon le droit international, il ne peut pas y avoir d鈥檃mnistie pour les crimes de guerre ou les crimes contre l鈥檋umanit茅.

Dans un accord de paix initial conclu en 1999 en Sierra Leone, les n茅gociateurs avaient accept茅 une amnistie g茅n茅rale pour toutes les factions et tous les combattants. Mais, s鈥檃ppuyant sur le droit international, l鈥橭NU avait express茅ment d茅savou茅 les dispositions concernant l鈥檃mnistie. L鈥檃ccord de paix conclu plus tard a pr茅vu une amnistie limit茅e, mais aussi 茅tabli une Commission v茅rit茅 et r茅conciliation afin de recueillir des informations sur les atrocit茅s commises ainsi qu鈥檜n Tribunal sp茅cial pour la Sierra Leone destin茅 脿 juger certains des principaux responsables.

Il y a cependant lieu de penser que la menace de poursuites peut compliquer les efforts de d茅mobilisation. Une 茅tude du CIJT sur la Sierra Leone cite le cas d鈥檜n repr茅sentant du Tribunal sp茅cial qui s鈥檈st vu refuser l鈥檈ntr茅e dans un camp de d茅mobilisation parce que ses responsables craignaient que les ex-combattants abandonnent le programme de DDR. Dans le Lib茅ria voisin, certains combattants ont h茅sit茅 脿 participer au processus de paix car ils craignaient de tomber sous la juridiction du Tribunal sp茅cial pour la Sierra Leone. (L鈥檈x-pr茅sident lib茅rien Charles Taylor doit actuellement r茅pondre devant ce tribunal de son r么le dans la guerre civile en Sierra Leone).

Un 茅quilibre 脿 trouver

En pratique, les n茅gociateurs de paix et les organisateurs de programme de DDR ont cherch茅 脿 parvenir 脿 un 茅quilibre. En RDC, explique Daniel Kawata, Coordonnateur g茅n茅ral de la Commission DDR, tous les chefs de milice soup莽onn茅s de 鈥渃rimes et d茅lits graves鈥� ont 茅t茅 arr锚t茅s. Mais le nombre de ces arrestations a 茅t茅 limit茅 afin de ne pas 鈥減erdre la possibilit茅 de d茅mobiliser tous les autres鈥�, a-t-il d茅clar茅 脿 Afrique Renouveau en 2005.

Quand, il y a plusieurs ann茅es, la CPI a annonc茅 qu鈥檈lle ouvrait une enqu锚te sur les crimes de guerre commis dans le Nord de l鈥橭uganda par la LRA, un vif d茅bat a 茅clat茅. Certaines communaut茅s locales ont envoy茅 des d茅l茅gations 脿 La Haye pour avertir que des inculpations risquaient de menacer les efforts de paix. Le juge Peter Onega, Pr茅sident de la commission d鈥檃mnistie, raconte qu鈥檌l a dit 脿 la CPI 鈥渜ue ces mandats d鈥檃rrestation, une fois 茅mis, pourraient bien ne pas faciliter le processus de paix鈥�. Des inculpations, a-t-il expliqu茅 脿 Afrique Renouveau pendant la conf茅rence de Kinshasa, pourraient amener les combattants de la LRA 脿 鈥渃raindre d鈥櫭猼re jug茅s s鈥檌ls sortaient [de la for锚t]鈥�.

La CPI a retard茅 l鈥櫭﹎ission de ces mandats, afin d鈥檃ccro卯tre les chances de succ猫s des pourparlers. Mais en octobre 2005, elle a lanc茅 des mandats d鈥檃rrestation au nom de M. Kony et de plusieurs chefs de l鈥橝rm茅e de r茅sistance du Seigneur. Malgr茅 les craintes initialement exprim茅es, les pourparlers entre la LRA et les interm茅diaires ougandais dans la ville de Juba au Soudan n鈥檕nt pas 茅t茅 compromis.

On envisage actuellement la possibilit茅 d鈥櫭﹙iter un proc猫s international en habilitant les tribunaux ougandais 脿 juger M. Kony et ses co-accus茅s sous des chefs d鈥檃ccusation similaires 脿 ceux retenus contre eux par la CPI, explique M. Onega. 鈥淟e Gouvernement ougandais a le devoir de mettre en place les lois n茅cessaires pour mener un proc猫s qui soit acceptable pour la CPI.鈥� Il reste 脿 voir si les chefs de la LRA accepteront de passer devant un tribunal ougandais.

R么le central des communaut茅s

Afin de concilier le d茅sir de paix et de justice, si minime soit-elle, des Africains, une table ronde th茅matique sur la justice transitionnelle organis茅e pendant la conf茅rence DDR de Kinshasa a propos茅 que les n茅gociateurs d鈥檃ccords de paix 茅vitent de proposer des amnisties g茅n茅ralis茅es. Il a aussi 茅t茅 recommand茅 de mener les proc猫s avec impartialit茅, de fa莽on 脿 ne pas donner l鈥檌mpression que la justice est dispens茅e uniquement dans l鈥檌nt茅r锚t des 鈥渧ainqueurs鈥�.

Les proc猫s en bonne et due forme devant des tribunaux nationaux ou internationaux ne sont pas le seul moyen de veiller 脿 ce que des comptes soient rendus, ont not茅 les participants. Ils ont recommand茅 que les pays dot茅s d鈥檜ne commission v茅rit茅 et r茅conciliation encouragent les ex-combattants 脿 y participer.

Ils ont aussi cit茅 l鈥檈xemple du Rwanda, qui est en train d鈥檌nstruire plusieurs centaines de milliers de dossiers relatifs au g茅nocide de 1994. Inspir茅s des assembl茅es de village traditionnelles, les tribunaux gacaca locaux permettent aux villageois de confronter directement ceux qui sont accus茅s d鈥檃trocit茅s. Parfois, les suspects se confessent et pr茅sentent des excuses pour leurs actes. Ils peuvent 锚tre pardonn茅s ou condamn茅s, y compris 脿 des travaux d鈥檌nt茅r锚t g茅n茅ral. Les cas les plus graves sont r茅f茅r茅s aux tribunaux ordinaires. M. Fall note que l鈥檈ngagement du Gouvernement rwandais 脿 mener ces poursuites ne semble pas avoir nui aux efforts de r茅insertion des ex-combattants, dont environ 54 000 ont d茅pos茅 les armes depuis 1995.

En Ouganda, de nombreux amnisti茅s ont aussi particip茅 脿 des rituels traditionnels connus sous les noms de timo-kica ou mato oput (pardon, r茅conciliation) au cours desquels ils reconnaissent publiquement une certaine responsabilit茅 pour leurs actes pass茅s. 鈥淯ne fois ce rituel accompli, explique M. Onega, il est entendu que cette personne est 脿 nouveau accept茅e dans la communaut茅 et que toute animosit茅 脿 son 茅gard doit cesser."

En g茅n茅ral, les participants 脿 la conf茅rence de Kinshasa ont propos茅 que les programmes de DDR accordent plus d鈥檃ttention aux besoins des communaut茅s qui accueillent les ex-combattants. En Ituri, les anciens combattants des milices re莽oivent chacun 100 dollars plus un colis contenant des casseroles, des chaussures, une radio, du tissu et d鈥檃utres fournitures. Si les villageois les plus pauvres ne re莽oivent pas eux aussi d鈥檃ide pour reconstruire leur vie, cette in茅galit茅 peut alors nourrir le ressentiment et donner l鈥檌mpression que les ex-combattants sont 鈥渞茅compens茅s鈥� de leur violence pass茅e.

Apporter des r茅parations aux victimes d鈥檃trocit茅s pass茅es peut 茅galement contribuer 脿 am茅liorer les attitudes envers les ex-combattants, soutient M. Fall.

Finalement, les poursuites judiciaires peuvent aussi contribuer 脿 la r茅conciliation 脿 long terme, conclut M. Fall. 鈥淢锚me apr猫s des violations syst茅matiques des droits de l鈥檋omme, les poursuites contre les chefs de milice peuvent timpliqu茅s.鈥� Ceci peut par la suite 鈥渁ccro卯tre les chances que la confiance se r茅tablisse entre les ex-combattants et les communaut茅s dans lesquelles ils choisissent de se r茅ins茅rer鈥�.