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Conflits et ressources naturelles

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Conflits et ressources naturelles

Comment faire d’un risque de guerre un atout pour la paix
Afrique Renouveau: 
Panos / Paul Lowe
Guard at an illegal diamond mine in Angola during the country’s civil war Un garde d’une mine de diamants illégale en Angola pendant la guerre civile. Comment mettre ces ressources au service de la paix et du développement ?
Photo: Panos / Paul Lowe

Depuis des années la région pétrolifère du delta du Sud du Nigéria est le théâtre de multiples affrontements armés entre les habitants de la région, les groupes rebelles et l’armée et la police qui ont fait de nombreuses victimes et perturbé à plusieurs reprises le principal secteur d’exportation de ce pays.

Ces soulèvements s’expliquent par le mécontentement de la population face à la pauvreté, à la pollution et à des mesures de sécurité musclées. Les “richesses pétrolières considérables [de la région] n’ont guère amélioré la vie de la population locale”, peut-on lire dans un rapport sur le développement humain dans le delta du Niger, publié par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en juillet 2006.

Bon nombre des habitants de la région estiment que les pouvoirs publics, l’armée et les compagnies pétrolières étrangères ne font quasiment rien pour remédier à la situation. “Les gens savent qu’ils n’auront pas le droit de profiter de notre pétrole s’ils ne se battent pas”, a déclaré un chef rebelle de Warri à un enquêteur d’International Crisis Group, organisation non gouvernementale de recherche et de militantisme, basée à Bruxelles.

En juillet 2006 également, à plus de 1 000 kilomètres de là, dans la ville de Gaoua au Burkina Faso, environ 150 manifestants armés de sabres, de massues et d’arcs et de flèches ont tenté de se rendre à une réunion du conseil municipal nouvellement élu. La police les en a empêchés, mais une dizaine d’entre eux ont réussi à faire part de leurs doléances au haut-commissaire de la province et ont exigé que les autorités envoient la police pour faire cesser l’extraction illégale d’or sur une colline jugée sacrée par la communauté locale de Lobi.

Pendant ce temps, dans le Nord de la Côte d’Ivoire, pays voisin, une faction rebelle contrôle une grande mine de diamants à ciel ouvert dans la ville de Seguela. C’est l’un de plusieurs sites qui produisent des diamants — dont la valeur est estimée à plus de 20 millions de dollars — exportés illégalement au Mali et au Ghana pour financer l’achat d’armes, au mépris des sanctions imposées par l’ONU.

Rompre les liens

Pour parvenir à la paix et au développement sur le continent, les Africains et leurs partenaires internationaux s’efforcent de plus en plus de rompre les liens qui existent entre conflits et richesses naturelles. En suscitant des convoitises ou en finançant des opérations militaires, les ressources naturelles ont joué un “rôle négatif” dans plusieurs des guerres les plus sanglantes de l’Afrique, remarque Legwaila Joseph Legwaila, Secrétaire général adjoint de l’ONU et Conseiller spécial pour l’Afrique.

A 13-year-old boy carries a sack of earth and rock at a diamond mine Un garçon de 13 ans porte un sac de terre et de pierres dans une mine de diamants de Mbuji-Mayi, la capitale congolaise du diamant.
Photo: Associated Press / Gary Knight

Pour attirer l’attention sur ce problème, le Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique a réuni un groupe d’experts au Caire (Egypte), en juin 2006. Ces experts ont recommandé des moyens de renforcer les dispositifs de contrôle internationaux et nationaux visant à empêcher que les ressources naturelles servent à financer des belligérants. Ils ont également proposé des mesures en vue de réduire les conflits intérieurs portant sur les ressources naturelles, notamment une “gestion responsable, juste et productive sur le plan économique” de la part des gouvernements africains.

Grâce à cette approche, estiment les experts, l’exploitation des ressources naturelles peut davantage servir à améliorer l’ensemble de la société, en réduisant la concurrence et en faisant des richesses naturelles “non plus un danger mais un atout pour la paix”.

La présence de ressources naturelles précieuses n’est pas en elle-même une “malédiction” devant fatalement susciter des conflits (voir encadré). D’après Abiodun Alao, maître de conférences à l’université de Londres, tout dépend de la façon dont sont exploitées ces ressources et dont sont distribués les profits ainsi générés. “L’avenir du continent, a-t-il expliqué dans un document rédigé à l’occasion de la réunion du Caire, dépend en grande partie de la façon dont il gère ces ressources. Dès que l’on considère les ressources naturelles et les conflits en Afrique, il est évident que la gouvernance est au coeur de la plupart des problèmes.”

‘Diamants du sang’

Les “diamants du sang” – expression évocatrice – sont probablement le symbole le plus connu du lien qui existe entre ressources et conflits en Afrique. Du fait de leur petite taille, les diamants sont faciles à transporter et à importer illégalement. Leur prix élevé sur les marchés mondiaux peut servir à acheter de nombreuses armes, à rémunérer des combattants ou à financer par d’autres moyens des activités militaires.

Pendant la guerre civile qu’a connue la Sierra Leone une dizaine d’années durant, ce sont les mines de diamants de ce pays qui ont suscité les combats les plus violents. Les diamants exportés illégalement de la Sierra Leone ont également contribué à financer des belligérants dans la guerre au Libéria voisin, tout comme l’exploitation illégale du bois et du fer libérien. Lors de la guerre en Angola, chaque camp disposait d’une source de revenus : le gouvernement contrôlait les gisements de pétrole au large des côtes, tandis que le mouvement rebelle de l’UNITA a subvenu à ses propres besoins des années durant en exploitant illégalement les mines de diamants.

Grâce à des campagnes menées par des organisations non gouvernementales (ONG) internationales et à la couverture médiatique importante du phénomène, le Processus de Kimberley a été lancé en 2000. Ce programme bénéficiant de l’appui de l’ONU vise à mettre fin au commerce illégal des diamants et autres pierres précieuses provenant des zones de conflit. Dans le cadre de ce programme, tous les diamants provenant des pays participants doivent être accompagnés d’un certificat d’authenticité indiquant leur origine

UN peacekeepers Des casques bleus patrouillent, à la recherche des trafiquants de diamants et d’or sur le lac Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo.
Photo: Panos / Sven Torfinn

Dans certains pays, le Processus de Kimberley a donné des résultats. En Sierra Leone, les exportations légales de diamants ne s’élevaient qu’à 1,2 million de dollars en 1999 mais ont atteint 140 millions de dollars en 2005, le système de certification ayant incité davantage d’exploitants à vendre leurs diamants aux négociants agréés. Mais de grandes lacunes subsistent et selon les experts, les exportations illégales de diamants provenant de la Sierra Leone atteignent encore chaque année de 30 à 160 millions de dollars.

L’exportation illégale de diamants provenant du Nord de la Côte d’Ivoire témoigne également des limites de cette initiative. Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, avertit l’ONG Global Witness, le Processus de Kimberley risque de n’être “qu’un simple exercice bureaucratique”.

D’après l’ONG sud-africaine SaferAfrica, l’une des lacunes du Processus de Kimberley tient au fait qu’il ne soit pas contraignant et dépende de la bonne volonté des gouvernements, des entreprises et des négociants de diamants. Cette bonne volonté n’est pas générale. Avec d’autres participants à la réunion du Caire, SaferAfrica a recommandé de renforcer les moyens dont disposent notamment les gouvernements, les ONG et les groupes de la société civile pour faire appliquer plus efficacement le système de certification et a incité les pouvoirs publics à réprimer et sanctionner les contrevenants.

Transparence et éthique

Le groupe d’experts du Bureau du Conseiller spécial a en outre proposé que d’autres ressources naturelles fassent l’objet de programmes similaires. Cela commence à se concrétiser, en partie grâce à la mobilisation d’ONG.

Depuis 2002, une coalition de 300 groupes de la société civile et ONG mène une campagne intitulée Publish What You Pay (PWYP) (Publiez ce que vous payez), pour inciter les multinationales pétrolières à faire preuve de plus de transparence en dévoilant au grand jour les modalités de leurs contrats passés en Afrique et ailleurs. L’objectif est de compliquer la tâche des dirigeants d’entreprise et des fonctionnaires qui souhaiteraient se livrer à des actes de corruption.

L’ONG Global Witness a cité en exemple le cas de l’Angola, où, d’après des estimations du Fonds monétaire international (FMI), de hauts fonctionnaires ont détourné 4 milliards de dollars de recettes pétrolières sur des comptes privés off-shore entre 1998 et 2002. Depuis, le Gouvernement a demandé à la Banque mondiale de lui apporter une assistance technique en vue d’améliorer la transparence du secteur pétrolier national.

Weighing gold in the eastern Democratic Republic of the Congo Pesage de l’or dans l’Est de la République démocratique du Congo.
Photo: Reuters / James Akena

Les pays qui se sont officiellement associés à l’initiative n’ont pas tous pris de véritables mesures pratiques “visant à prouver qu’ils gèrent leurs recettes pétrolières dans la transparence”, note M. Christian Mounzéo, de la section de la coalition en République du Congo. En plus d’exiger une transparence complète, il demande également à son propre gouvernement et à celui d’autres pays africains producteurs de pétrole de créer des comptes spéciaux de recettes pétrolières, destinés à bénéficier aux “générations à venir”, comme l’a fait la Norvège. M. Mounzéo et d’autres militants de la campagne ont fait l’objet de harcèlements juridiques du fait de leurs activités.

En 2003, le Gouvernement britannique a lancé l’Initiative de transparence des industries extractives, qui vise à améliorer la gestion des recettes provenant du pétrole, du gaz et des industries extractives. Il s’agit principalement d’inciter les multinationales à faire preuve de plus de transparence et de responsabilité dans ce domaine. Plus de 20 pays – dont 14 pays africains – se sont officiellement associés à cette initiative.

Certaines grandes entreprises se sont engagées à agir dans une plus grande transparence, mais beaucoup restent réticentes, invoquant les pressions concurrentielles, le secret professionnel et la volonté de confidentialité des gouvernements. En outre, le groupe d’experts du Caire note que certaines entreprises, notamment dans le secteur minier, ne se préoccupent guère des risques que présentent leurs activités pour la société et l’environnement. Les gouvernements africains ont été priés d’exiger de la part des entreprises des plans de développement durable visant à protéger l’environnement, à bénéficier aux communautés locales et à contribuer aux priorités de développement nationales.

Capacités des Etats

Même lorsque les gouvernements africains souhaitent mieux encadrer ou réglementer les ressources naturelles de leur pays, ils n’en ont souvent pas les moyens. Notamment dans les pays en proie à des conflits ou sortant juste de guerres, remarque Abiodun Alao, il “manque véritablement les capacités institutionnelles permettant de surveiller les grandes étendues où se trouvent les ressources naturelles”. Certaines zones riches en ressources naturelles se trouvent parfois près de frontières peu surveillées, comme par exemple les mines de diamants de la Sierra Leone et du Libéria et les régions minières de l’Est de la République démocratique du Congo. D’autres sont situées en terrain difficile, comme le delta marécageux du Niger, au Nigéria.

En outre, nombre de gouvernements nationaux sont incapables de véritablement surveiller leurs propres fonctionnaires et personnel. Etant donné les sommes d’argent en jeu, les factions armées et les contrebandiers peuvent souvent acheter le silence des ministres, des autorités chargées de l’octroi de permis, des douaniers et des gardes-frontières. Pendant la guerre civile en Sierra Leone, les rebelles ont souvent pu échanger des diamants contre des armes avec les commandants et les soldats qui étaient justement censés les combattre.

Même dans les pays en paix, il est difficile de réglementer l’activité minière, l’exploitation des forêts et les autres industries extractives. D’après une étude effectuée en 2004 à l’université du Québec à Montréal (Canada) par un groupe de recherches sur l’industrie minière africaine, les politiques d’austérité économique recommandées par le FMI et la Banque mondiale pendant les années 1980 et 1990 ont généralement affaibli les capacités de nombreux Etats africains. Bien que ces politiques aient été en partie modifiées en vue de consolider les institutions publiques, les récentes réformes des réglementations de l’industrie minière et des investissements en Afrique ont octroyé aux sociétés minières des avantages tels que les pouvoirs publics nationaux ne peuvent exercer qu’un contrôle restreint et que leur trésor public et leur économie n’en tirent que de faibles bénéfices. Ces réformes, ont noté les chercheurs, ont “eu tendance à favoriser la réduction de l’assiette fiscale de l’Etat, ainsi que de ses capacités de surveillance et d’application des réglementations, et, par conséquent, de sa légitimité et de sa souveraineté”.

Compte tenu des nombreuses lacunes des institutions nationales, le groupe d’experts du Caire a recommandé que l’ONU, les organismes donateurs et les autres institutions internationales accordent davantage d’aide aux pays africains afin de renforcer leurs capacités de gestion des ressources naturelles. Cette aide pourrait notamment consister à fournir une formation aux douaniers et aux vérificateurs de comptes, à établir de nouveaux systèmes de suivi des industries extractives et à prôner des mesures visant à mieux combattre la corruption gouvernementale et les fraudes des entreprises.

Au Libéria, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a apporté une assistance technique et financière afin d’aider ce pays à définir une politique de gestion des forêts. Pendant la guerre civile, les abattages systématiques et le trafic de produits forestiers ont servi à financer le conflit, ce qui a conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à imposer des sanctions sur les exportations de bois provenant du Libéria.

“La nouvelle politique forestière, explique M. Adrian Whiteman, spécialiste des forêts à la FAO, qui a participé au projet, vise à maximiser les bénéfices que procure le secteur forestier à la population du Libéria et à mettre fin au financement de conflits au moyen de l’exploitation de ressources forestières. L’Office des forêts libérien est maintenant à même de reprendre le contrôle des ressources forestières.”

Qui décide ?

Mais il faut souvent longtemps pour mettre en place des institutions efficaces. Dans certains pays, les organismes donateurs ont été tentés d’intervenir directement pour essayer de régler rapidement les problèmes de corruption et de mauvaise gestion.

Cela a par exemple été le cas lors de la construction d’un oléoduc servant à transporter du pétrole des puits éloignés du Sud du Tchad jusqu’à un port situé sur la côte du Cameroun. Les gouvernements des deux pays et la Banque mondiale ont signé un accord complexe par lequel la Banque proposait de contribuer au financement de l’oléoduc à condition que le Tchad accepte d’allouer la plus grande partie de ses recettes pétrolières à des programmes de réduction de la pauvreté et de développement, au moyen de comptes gérés par un consortium composé de représentants du gouvernement, de la Banque mondiale et de la société civile. L’objectif de ce système était d’éviter que cette soudaine manne pétrolière favorise la corruption à grande échelle et que les 60 % de Tchadiens qui vivent dans la pauvreté n’en profitent guère.

Une fois l’oléoduc construit, les trois grandes compagnies pétrolières ont commencé en 2003 à extraire du pétrole des puits tchadiens. En 2006, le Gouvernement devrait toucher 200 millions de dollars d’impôts et de redevances provenant du pétrole, ce qui est supérieur à l’ensemble de ses recettes fiscales annuelles provenant de toutes les autres sources. Mais l’accord avec la Banque mondiale est passé au second plan dès la fin de l’année 2005, lorsque le Gouvernement a fait part de son intention d’accroître la part des recettes pétrolières affectée directement au budget national et d’en utiliser une partie pour renforcer ses moyens militaires en vue de faire face aux rebelles tchadiens et aux attaques de milices soudanaises le long de la frontière au Darfour.

En 2005, un autre programme a été mis en oeuvre au Libéria à l’initiative des donateurs. Le Programme d’aide à la gouvernance et à la gestion économique (GEMAP, en anglais) vise à combattre la corruption, les fraudes et autres pratiques néfastes sous le régime de transition instauré à la fin de la guerre civile. Des contrôleurs financiers extérieurs ont été chargés de surveiller le service des douanes, le ministère des terres et des mines et de nombreuses entreprises d’Etat.

Au Libéria, les avis sur la question sont partagés. Certains reprochent au GEMAP de porter atteinte à la souveraineté nationale. D’autres y voient un moyen nécessaire de combattre la corruption endémique. Le gouvernement nouvellement élu de la Présidente Ellen Johnson-Sirleaf, qui est entrée en fonction en janvier 2006, considère que le GEMAP est un instrument utile à court terme, mais qu’il est nécessaire de renforcer la transparence à l’échelle nationale afin de ne plus avoir besoin de telles initiatives extérieures.

Le groupe d’experts réuni par le Bureau du Conseiller spécial a examiné le cas de l’oléoduc du Tchad ainsi que l’initiative libérienne. Il a proposé que l’Union africaine (UA) redouble d’efforts en vue de parvenir à une meilleure gestion nationale des ressources naturelles, notamment en intégrant des normes précises dans le Mécanisme d’évaluation intra-africaine, dans le cadre duquel les pays africains évaluent mutuellement leurs pratiques en matière de gouvernance. Au cours de la réunion, les donateurs ont également été priés de “respecter et soutenir le processus mené à l’initiative de l’UA, au lieu d’essayer d’assortir l’aide au développement de conditions relatives à la gouvernance ou d’appuyer des initiatives extérieures menées en parallèle”.

M. John Ohiorhenuan, administrateur assistant adjoint du PNUD, estime que si des initiatives comme le GEMAP peuvent être nécessaires, car le “pillage a pris d’énormes proportions” et qu’il n’existe pas d’autre solution immédiate, les décideurs ne devraient pas perdre de vue que ces programmes peuvent être une “arme à double tranchant” susceptible de compromettre la souveraineté des Etats et de favoriser la dépendance à long terme.

Partage des richesses

Même si les gouvernements parviennent à gérer leurs ressources naturelles de façon plus transparente et efficace, cela n’aura qu’un impact restreint tant que les bénéfices ne seront pas également partagés par le plus grand nombre au sein des sociétés africaines. Paradoxalement, de nombreuses régions riches en pétrole, en diamants ou autres minerais sont par ailleurs extrêmement pauvres, qu’il s’agisse du delta du Niger ou de Kono, situé au cœur des champs de diamants de la Sierra Leone.

Dans le centre de la République démocratique du Congo, Mbuji-Mayi est parfois surnommée la “capitale mondiale du diamant”. Mais la ville elle-même n’est guère qu’un bidonville. La province à laquelle elle appartient, le Kasaï oriental, a des taux élevés d’analphabétisme et de mortalité infantile et pas d’électricité ; 60 % des enfants de moins de cinq ans sont atteints de malnutrition. Mais un petit nombre de diamantaires congolais et étrangers affichent des richesses inimaginables. Ces inégalités contribuent pour beaucoup aux tensions sociales et politiques qui existent en Afrique et aident les groupes armés à se constituer un appui parmi la population.

Pour combattre la pauvreté et l’inégalité, le groupe d’experts du Caire a fermement enjoint aux gouvernements africains et les sociétés minières et pétrolières de veiller à ce qu’une plus grande part des richesses provenant des ressources naturelles soit affectée aux services sociaux et aux programmes de développement à l’échelle nationale et bénéficie directement aux communautés locales.

Dans certains cas, la notion de partage des recettes figure en bonne place dans les accords de paix. Dans le cadre d’un accord qui a mis fin à une longue guerre civile au Sud-Soudan en 2003, le gouvernement central et les rebelles de l’Armée de libération du peuple soudanais ont conclu un arrangement détaillé prévoyant le partage des recettes pétrolières par les deux camps.

Au Nigéria, les 36 Etats que compte le pays ont reçu une part à peu près égale des recettes pétrolières nationales jusqu’en 2000, date à laquelle la part des Etats producteurs de pétrole du delta du Niger est passée à 13 % afin de répondre aux réclamations de la population locale. Mais la plupart de cet argent a été versé aux élites urbaines, une partie étant perdue à cause de la corruption, si bien que les habitants pauvres n’ont généralement vu aucune amélioration de leur sort. Par conséquent, les réclamations se sont intensifiées. Les autorités des Etats producteurs de pétrole demandent maintenant que leur part atteigne 20 ou 25 %, tandis qu’un comité gouvernemental a proposé en mars 2006 de la porter à 18 %.

Montrant leur bonne volonté, des compagnies pétrolières étrangères présentes dans le delta du Niger ont également financé directement divers projets de développement local, allant de dispensaires et d’écoles à la construction d’infrastructures publiques et au recrutement de personnel local. Si certaines communautés locales en ont bénéficié, d’autres se plaignent d’être encore exclues.

‘Avant que ça ne dégénère’

En 2005, deux ONG (Global Witness et Partenariat Afrique-Canada) ont lancé, en coopération avec deux sociétés diamantaires (De Beers et le Groupe Rapaport), la Diamond Development Initiative (DDI) dans le but de promouvoir de meilleures conditions de travail pour le million de travailleurs africains des petites mines de diamants, dont beaucoup ne gagnent aujourd’hui qu’un dollar par jour, malgré leur dur et dangereux labeur.

La DDI cite des exemples de pays africains dans lesquels des programmes existent déjà pour les mineurs artisanaux. En Sierra Leone, le Gouvernement a instauré une taxe spéciale visant à renforcer les investissements réalisés dans les localités productrices de diamants. En République démocratique du Congo, un organisme public a été créé en 2003 afin d’aider les centaines de milliers de mineurs artisanaux de ce pays à mieux se faire représenter, à améliorer la sécurité, à acquérir de nouveaux outils et à renforcer leur pouvoir de négociation face aux diamantaires. Cet organisme alloue également 20 % des recettes provenant de taxes et de licences à des projets de développement locaux.

Plusieurs compagnies présentes dans les régions productrices de diamants de l’Angola ont fait construire des écoles, remis en état des dispensaires et des hôpitaux, installé des usines hydroélectriques et des systèmes d’assainissement et mis en place des projets agricoles. Cependant, d’après un rapport de la DDI sur l’Angola, “il convient de renforcer les investissements publics, qui sont très faibles dans une ancienne zone de guerre où sont produits des diamants. As Les dépenses des sociétés minières ne représentent qu’une goutte d’eau”.

Dans un rapport publié en août 2006 sur les affrontements dans le delta du Niger au Nigéria, l’International Crisis Group a noté que les projets de développement local les plus couronnés de succès sont ceux auxquels participe activement la population. Pro-Natura International (Nigéria), une petite ONG employant à la fois du personnel local et des étrangers, a adopté en 1997 une approche “participative” dans le royaume d’Akassa, dans l’Etat producteur de pétrole de Bayelsa. La population locale a défini des “micro-projets”, d’un coût inférieur à 7 150 dollars: écoles, dispensaires et centres de formation et de micro-crédit. Les communautés locales ont fourni les terres, la main-d’oeuvre et le matériel nécessaires et le financement a été assuré par les compagnies pétrolières, les gouvernements donateurs, des fondations et l’Union européenne. Cette initiative a depuis été menée dans trois autres royaumes.

Parallèlement à la transparence de la gestion des ressources naturelles de la part des pouvoirs publics et des entreprises, il est nécessaire de mener dans l’ensemble de l’Afrique beaucoup d’autres initiatives locales de ce type, estime M. Ohiorhenuan, du PNUD. Les richesses naturelles ne favoriseront pas nécessairement les conflits, a-t-il déclaré à Afrique Renouveau, si les pays africains entament un “dialogue interne” et remédient à diverses formes d’inégalité et d’exclusion “avant qu’elles ne dégénèrent”.

‘Cessons de gaspiller ce que la nature nous donne’

La fin de la guerre froide a laissé espérer dans un premier temps que les conflits armés de l’Afrique allaient s’atténuer en l’absence des vieilles oppositions idéologiques entre l’Est et l’Ouest. Mais si certains conflits se sont en effet résorbés, de nouveaux sont apparus – souvent des rébellions ou des guerres civiles entre des factions politiques adverses d’un même pays. Les politologues et également les économistes ont alors commencé à étudier des facteurs autres qu’idéologiques, liés par exemple aux rivalités ethniques et économiques.

Certains de ces chercheurs, notamment une équipe dirigée par M. Paul Collier à la Banque mondiale, ont constaté une forte corrélation entre l’apparition de conflits armés et la dépendance d’un pays à l’égard d’une ou deux ressources naturelles facilement exploitables, comme les diamants, l’or ou le pétrole. Il est également apparu que la présence de ressources rémunératrices contribuait à la corruption des dirigeants, qui suscite aussi des conflits et le mécontentement de la population.

Ces recherches ont abouti à deux notions générales reprises par les dirigeants et les médias : la présence même de ressources naturelles précieuses fait souvent figure de “malédiction” qui suscite des conflits, et les forces rebelles sont souvent moins motivées par de véritables doléances que par l’appât du gain provenant du contrôle des ressources naturelles.

Ces deux explications ont ensuite été jugées simplistes par certains. D’après Wayne Nafziger, professeur à l’université d’Etat du Kansas (Etats-Unis), les ressources naturelles ne sont pas en elles-mêmes une malédiction. “Bien sûr, ajoute-t-il, elles peuvent être mal gérées."

M. Rory O’Ferrall, directeur des relations publiques du groupe de diamants De Beers, est du même avis. Lors d’une table ronde sur les ressources naturelles des pays africains les moins avancés, organisée en septembre par le Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique, il a affirmé que la présence de diamants ou d’autres minerais n’était pas une malédiction. “Tout dépend de ce que vous en faites.” Il a cité le cas du Botswana, un grand producteur de diamants de l’Afrique, qui est un “parfait exemple” de bonne gouvernance et d’utilisation judicieuse des recettes provenant des diamants. “Cessons de gaspiller ce que la nature nous donne et intéressons-nous plutôt à ce que nous en faisons."

Le Secrétaire général adjoint Legwaila Joseph Legwaila, qui dirige le Bureau du Conseiller spécial et est lui-même originaire du Botswana, a abondé dans ce sens, ajoutant que “la malédiction vient de ceux qui exploitent abusivement” les ressources naturelles. Les participants à la réunion du groupe d’experts du Caire de juin 2006 ont également estimé qu’il était inexact d’attribuer les conflits à l’appât du gain plutôt qu’à de véritables doléances. Cela revient à surestimer l’influence des ressources naturelles sur la conduite des groupes rebelles et à ne pas tenir suffisamment compte du fait que la mauvaise gestion des ressources naturelles par les pouvoirs publics peut contribuer aux conflits et aux violations des droits de l’homme.

En Sierra Leone et au Libéria, on pensait généralement que les rebelles étaient motivés par l’appât du gain. Mais, plusieurs chercheurs, dont M. Paul Richards de l’université de Wageningen (Pays-Bas), ont constaté que si les chefs rebelles avaient en effet profité de l’accès aux diamants, au bois et à d’autres ressources naturelles, la plupart des jeunes qui avaient rejoint les forces rebelles n’étaient pas motivés par un éventuel butin mais voulaient combattre les abus des autorités et des chefs traditionnels ou souhaitaient modifier le régime foncier qui les privait de terres. Dans les deux pays comme en Côte d’Ivoire et ailleurs, a écrit M. Richards dans un essai récent, “la réforme des droits ruraux semble aussi urgente que la répression des trafiquants d’armes, de diamants et de bois”.