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En Ouganda, un gu茅risseur traditionnel traite les vertiges d鈥檜n patient.

Photo: Panos / Jim Holmes

Sous un soleil implacable, une douzaine de personnes attendent obstin茅ment leur tour devant la minuscule case au toit couvert de paille o霉 tr么ne Nhamburo Masango, gu茅risseur traditionnel du Zimbabwe, entour茅 d鈥檋erbes, d鈥檕s et d鈥檃utres rem猫des. La longue file d鈥檃ttente sinueuse ne d茅courage apparemment personne.

De nombreux Zimbabw茅ens peu fortun茅s n鈥檕nt pas d鈥檃utre choix. Les gu茅risseurs traditionnels sont souvent le premier et le dernier rempart contre les maladies contagieuses et d茅bilitantes qui leur g芒chent la vie. Des praticiens comme M. Masango continuent de jouer un r么le central dans la vie de nombreux habitants. L鈥橭rganisation mondiale de la sant茅 (OMS) estime que 80听% des Africains font r茅guli猫rement appel 脿 leurs services.

Mais, dans la plupart des cas, les gu茅risseurs op猫rent en dehors des structures de sant茅 茅tablies. Il arrive que certains patients, pr茅f茅rant les gu茅risseurs, ne tiennent pas compte des conseils de leur m茅decin ou prennent des rem猫des 脿 base de plantes m茅dicinales susceptibles de pr茅senter des risques d鈥檌nteractions dangereuses avec des produits pharmaceutiques.

鈥淐ela fait longtemps que nous disons aux pouvoirs publics qu鈥檌ls ne peuvent faire cavalier seul dans le domaine des soins de sant茅鈥�, a expliqu茅 en ao没t dernier 脿 un journaliste, Gordon Chavhunduka, directeur de l鈥橝ssociation nationale des gu茅risseurs traditionnels du Zimbabwe. 鈥淚l y a eu beaucoup de tensions entre les pouvoirs publics et nous-m锚mes quant 脿 notre utilit茅.鈥� Les frais m茅dicaux prohibitifs emp锚chent 茅galement les pauvres de b茅n茅ficier de soins m茅dicaux, ajoute-t-il. Les malades choisissent alors des gu.茅risseurs traditionnels.

Et ce n鈥檈st pas seulement une question d鈥檃cc猫s. La m茅decine traditionnelle rel猫ve d鈥檜n syst猫me de pens茅es qui reste essentiel dans la vie de la plupart des Africains. Les malades consultent des gu茅risseurs traditionnels, qu鈥檌ls aient ou non les moyens d鈥檃cc茅der 脿 des services m茅dicaux. Dans mon cas, j鈥檃urais pu b茅n茅ficier des meilleurs soins de sant茅 que le Zimbabwe puisse offrir. Deux semaines avant de faire un s茅jour dans mon pays d鈥檕rigine, je m鈥櫭﹖ais soumise 脿 un examen m茅dical complet dans l鈥檜n des meilleurs h么pitaux de la ville am茅ricaine de Boston, o霉 je vivais 脿 l鈥櫭﹑oque. Au Zimbabwe, je n鈥檃vais pas absolument besoin de soins m茅dicaux mais ma m猫re avait insist茅 pour que je fasse un autre 鈥渂ilan听de sant茅鈥� avant de repartir aux Etats-Unis.

Les m茅decins form茅s selon l鈥檃pproche occidentale mettent principalement l鈥檃ccent sur les causes biom茅dicales des maladies, tandis que selon les croyances traditionnelles, l鈥檃pproche est plus holistique. Au Zimbabwe, les gu茅risseurs traditionnels ont la r茅putation de deviner la cause d鈥檜ne maladie ou des probl猫mes sociaux dont souffre une personne en lan莽ant des os qui leur permettent d鈥檌nterpr茅ter la volont茅 d鈥檃nc锚tres d茅funts. Beaucoup ont une connaissance approfondie des substances que l鈥檕n trouve dans les plantes et de leurs divers pouvoirs curatifs. Ils se servent de feuilles, de graines, de tiges, d鈥櫭ヽorces ou de racines pour traiter diff茅rents sympt么mes. Des substances animales ou des min茅raux sont 茅galement employ茅s, mais dans une moindre mesure. La plupart des gu茅risseurs traditionnels sont 脿 la fois herboristes et devins, certains se sp茅cialisant dans un domaine plut么t que l鈥檃utre.

R茅glementer les gu茅risseurs traditionnels

Le gouffre qui s茅pare m茅decins et gu茅risseurs traditionnels s鈥檈st quelque peu r茅sorb茅 au cours des dix derni猫res ann茅es. L鈥橭MS pr茅conise d鈥檌nt茅grer au syst猫me de soins de sant茅 primaire des pratiques de m茅decine traditionnelle qui sont sans danger et ont fait leur preuve. En 2002, l鈥檕rganisation a publi茅 ses premi猫res directives compl猫tes visant 脿 aider des pays comme le Zimbabwe 脿 r茅glementer la m茅decine traditionnelle.

Le gouvernement zimbabw茅en a annonc茅 en juillet qu鈥檌l allait r茅gulariser ce secteur. Il est notamment pr茅vu de constituer un conseil des gu茅risseurs. Le Ministre de la sant茅 et de l鈥檈nfance, David Parirenyatwa, s鈥檈st d茅clar茅 pr茅occup茅 par le fait que certains gu茅risseurs pr茅tendent avoir des rem猫des 脿 des maladies mortelles, dont le VIH/sida. Il n鈥檈st pas possible d鈥櫭﹙aluer ces affirmations sans un conseil repr茅sentant tous les gu茅risseurs, a-t-il expliqu茅.

鈥淚l est n茅cessaire de standardiser dans une certaine mesure les activit茅s鈥�, a propos茅 le docteur Parirenyatwa au cours d鈥檜ne r茅union avec des gu茅risseurs traditionnels locaux. Par exemple, les malades devraient pouvoir consulter des gu茅risseurs traditionnels immatricul茅s et agr茅茅s, dans des locaux ad茅quats. A l鈥檋eure actuelle, les gu茅risseurs travaillent dans toutes sortes d鈥檈ndroits, comme des relais de camionneurs et des arri猫re-salles. Cela doit changer.鈥�

Les gu茅risseurs traditionnels constituent d茅j脿 une source respect茅e d鈥檌nformation et de traitement. Si on leur donne les comp茅tences et les moyens n茅cessaires, ils sont bien plac茅s pour jouer un r么le plus important dans la lutte contre les grandes maladies de l鈥橝frique.

L鈥橝frique du Sud est 脿 la pointe des efforts men茅s sur le continent pour soumettre les gu茅risseurs traditionnels 脿 un cadre juridique. Au d茅but de l鈥檃nn茅e 2005, le parlement a adopt茅 une loi visant 脿 reconna卯tre comme prestataires de services de sant茅 les quelque 200听000 gu茅risseurs que compte le pays. Certains y ont vu une mesure importante visant 脿 茅liminer les charlatans et 脿 prot茅ger les patients, mais ce n鈥檈st pas l鈥檃vis de tout le monde. Doctors for Life, qui repr茅sente plus d鈥檜n millier de professionnels de la sant茅 de l鈥橝frique du Sud, s鈥檈st oppos茅 脿 ce projet de reconnaissance des gu茅risseurs.

鈥淟a plupart des m茅dicaments employ茅s par les praticiens traditionnels n鈥檕nt pas 茅t茅 valid茅s par des recherches scientifiques, estime Doctors for Life. Beaucoup de personnes souffrent de complications graves provenant de l鈥檜sage de m茅dicaments traditionnels.鈥� Ce groupe a d茅clar茅 en guise d鈥檃vertissement qu鈥檜ne telle loi risquait d鈥檕uvrir la voie 脿 de multiples controverses juridiques et 脿 des complications m茅dicales.

D鈥檃utres prestataires de soins m茅dicaux font remarquer que les gu茅risseurs traditionnels fournissent d茅j脿 des services 脿 l鈥櫭ヽhelle locale, avec ou sans l鈥檃pprobation de la loi. Le fait de les rallier au sein des structures de sant茅 primaire renforcerait donc 鈥� au lieu de freiner 鈥� les efforts visant 脿 茅liminer les pratiques nocives.

Gu茅risseurs et m茅decins

Il est de plus en plus admis que les gu茅risseurs traditionnels et les m茅decins occidentaux peuvent unir leurs efforts pour am茅liorer le bien-锚tre des patients, notamment lorsqu鈥檌l s鈥檃git d鈥櫭﹍aborer de nouveaux m茅dicaments, de signaler des cas de maladie contagieuse et de trouver des moyens de veiller 脿 ce que les patients suivent le traitement qui leur a 茅t茅 prescrit.

En Tanzanie, l鈥橧nstitut de m茅decine traditionnelle de Dar es-Salaam a mis en place un programme pilote visant 脿 茅valuer dans quelle mesure les plantes de la r茅gion permettent de r茅duire la gravit茅 des maladies que l鈥檕n rencontre souvent chez des patients s茅ropositifs. Des herboristes donnent 脿 l鈥橧nstitut la permission d鈥櫭﹙aluer les substances qu鈥檌ls utilisent pour traiter les patients. Si les scientifiques mettent en 茅vidence des substances b茅n茅fiques dans les plantes, ils les purifient et d茅terminent quel devrait 锚tre le dosage ad茅quat. Cela permet de r茅pondre 脿 l鈥檌nqui茅tude que suscite parmi certaines personnes la prescription de m茅dicaments par des gu茅risseurs traditionnels.

鈥淣ous reconnaissons que certaines plantes r茅agissent favorablement 脿 certaines des maladies li茅es au VIH/sida et il faut les 茅tudier pour comprendre leur fonctionnement鈥�, explique le docteur Edmund Kayombo, qui aide l鈥橧nstitut 脿 茅valuer l鈥檈fficacit茅 des plantes m茅dicinales traditionnelles. Parmi ces plantes figurent des rem猫des visant 脿 renforcer le syst猫me immunitaire, 脿 accro卯tre l鈥檃pp茅tit et 脿 traiter le muguet buccal, les 茅ruptions cutan茅es et la diarrh茅e. On ne peut pas s鈥檃ttendre 脿 ce que ces plantes gu茅rissent du VIH, dit-il, mais elles peuvent att茅nuer certains des sympt么mes souvent pr茅sents chez les personnes s茅ropositives.

Les gu茅risseurs traditionnels peuvent s鈥檃v茅rer particuli猫rement efficaces lorsqu鈥檌l s鈥檃git de surveiller des flamb茅es 茅pid茅miques. Ils vivent au sein m锚me des communaut茅s et sont souvent les premiers 脿 constater l鈥檃pparition de nouvelles maladies. Mmes Nora Groce et Mary Reeve, anthropologues m茅dicales, estiment que l鈥櫭﹖ablissement de r茅seaux de communication entre les gu茅risseurs traditionnels et les communaut茅s m茅dicales permettrait d鈥檃m茅liorer consid茅rablement la surveillance des maladies. Les responsables de la sant茅 doivent faire une place aux gu茅risseurs traditionnels dans leurs campagnes d鈥檌nformation destin茅es aux m茅decins et doivent savoir quelles informations demander aux gu茅risseurs.

鈥淚l faut expliquer aux gu茅risseurs traditionnels pourquoi, quand et comment signaler aux responsables locaux des sympt么mes inhabituels observ茅s chez leurs patients鈥�, expliquent Mmes Groce et Reeve. Des listes ou des descriptifs visuels des sympt么mes, des maladies et des modes de transmission pourraient faciliter la communication entre gu茅risseurs et responsables, ajoutent-elles.

Dans une certaine mesure, un syst猫me informel d鈥檃iguillage des patients existe d茅j脿 entre praticiens traditionnels et m茅decins. Mais les gu茅risseurs d茅plorent que l鈥檌nformation ne circule principalement que dans un sens. 鈥淟es gu茅risseurs traditionnels envoient d茅j脿 des lettres de recommandation aux dispensaires鈥�, remarque le docteur James Hartzell, professeur 脿 la facult茅 de m茅decine de l鈥橴niversit茅 KwaZulu/Natal en Afrique du Sud. Ils 鈥渄emandent simplement 脿 l鈥櫭﹒uipe biom茅dicale, qui leur est souvent hostile, de leur transmettre en 茅change au moins des informations de base, par exemple le type de traitement prescrit aux patients鈥�.

Le docteur Hartzell participe 脿 un projet visant 脿 am茅liorer la collaboration entre m茅decins et gu茅risseurs s鈥檕ccupant de patients atteints du VIH/sida. Il s鈥檃git notamment de former 350 gu茅risseurs 脿 la pr茅vention, aux services volontaires de conseils et de d茅pistage, aux soins 脿 domicile et aux traitements antir茅troviraux. Il estime que les patients 茅coutent les gu茅risseurs traditionnels, ce qui donne 脿 ces derniers la possibilit茅 鈥渄鈥檌nfluer consid茅rablement sur l鈥檕bservance du traitement et la prise en charge des patients, dans le cadre d鈥檜ne bonne collaboration avec l鈥櫭﹒uipe biom茅dicale鈥�.

Meilleur suivi des traitements

Les gu茅risseurs traditionnels constituent d茅j脿 une source respect茅e d鈥檌nformation et de traitement. Si on leur donne les comp茅tences et les moyens n茅cessaires, ils sont bien plac茅s pour jouer un r么le plus important dans la lutte contre les grandes maladies de l鈥橝frique.

L鈥檌ncidence de la tuberculose 茅tait en hausse dans le district de Hlabisa dans le KwaZulu/Natal, ayant augment茅 de 360 % dans les sept ann茅es qui ont pr茅c茅d茅 1999. Il est facile de gu茅rir les patients de la tuberculose s鈥檌ls prennent un m茅dicament tous les jours et suivent le traitement dans son int茅gralit茅. Mais beaucoup abandonnent ce traitement qui dure de six 脿 huit mois. Cependant, un partenariat novateur entre m茅decins et praticiens traditionnels contribue 脿 r茅duire la progression de la maladie, en formant des gu茅risseurs 脿 superviser et 脿 consigner par 茅crit les doses prises par chaque patient pour faire en sorte qu鈥檌ls suivent bien leur traitement.

鈥淥n nous a 茅galement expliqu茅 les sympt么mes de la tuberculose听; quand nous les d茅tectons chez d鈥檃utres patients, nous pouvons ainsi les envoyer faire un test de d茅pistage鈥�, raconte Jack Nyawuza, l鈥檜n des 25 gu茅risseurs traditionnels qui ont choisi de participer 脿 ce programme. Ces informations s鈥檃joutent 脿 ce que nous apprenons dans notre formation de gu茅risseur.鈥� Les patients 茅taient ravis que les gu茅risseurs aient suivi cette formation听: ces derniers habitent 脿 proximit茅 et peuvent faire des visites 脿 domicile quand les patients sont trop malades pour se d茅placer.

Les r茅sultats obtenus ont 茅t茅 remarquables听: 89 % des patients encadr茅s par des gu茅risseurs traditionnels ont achev茅 leur traitement, contre 67 % des patients encadr茅s par d鈥檃utres b茅n茅voles. Et le taux de mortalit茅 des patients des gu茅risseurs traditionnels 茅tait inf茅rieur de deux tiers. Les gu茅risseurs appr茅cient le nouveau respect que leur t茅moignent les milieux m茅dicaux. 鈥淛鈥檃i 茅t茅 form茅 pour aider et pour gu茅rir听; superviser des traitements de tuberculose s鈥檌nscrit donc dans le prolongement de ma profession鈥�, affirme M. Nyawuza.

Nombre de gu茅risseurs traditionnels sont dispos茅s 脿 accepter des principes de m茅decine occidentale. Au Zimbabwe, 脿 la suite d鈥檜ne campagne gouvernementale de grande envergure visant 脿 mettre fin aux pratiques susceptibles de favoriser la transmission du VIH, les gu茅risseurs ont condamn茅 l鈥檜sage sur plusieurs personnes de lames de rasoir servant 脿 pratiquer une incision cutan茅e lorsqu鈥檜n m茅dicament doit 锚tre administr茅 directement sous la peau d鈥檜n patient.

Les m茅dicaments que m鈥檃 prescrits M. Masango ne n茅cessitaient aucune incision 鈥� heureusement car je suis tr猫s sensible 脿 la douleur. Je garde la racine rouge douce-am猫re qu鈥檌l m鈥檃 prescrite pour des maux de t锚te 脿 c么t茅 du m茅dicament Imitrex de GlaxoSmithKline. Je b茅n茅ficie ainsi de ce que les deux mondes ont de mieux 脿 offrir.