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L’Afrique forge de nouveaux partenariats

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L’Afrique forge de nouveaux partenariats

Polémique autour de l’aide et des investissements chinois et indiens
Afrique Renouveau: 
Associated Press / Rebecca Blackwell
A Chinese foreman walks past a construction site in Guinea-BissauUn contremaître chinois sur un chantier en Guinée-Bissau : la Chine finance des projets d’infrastructures en Afrique que d’autres bailleurs de fonds hésitent à soutenir.
Photo: Associated Press / Rebecca Blackwell

La composition des bailleurs de fonds et des investisseurs en Afrique a considérablement changé au cours des dix dernières années, les nouveaux arrivants du Sud jouant un rôle de plus en plus important. La Chine, l’Inde, le Brésil et autres pays en développement offrent aux pays africains de nouvelles sources de financement, leur permettant de réduire leur dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds traditionnels du Nord.

Le Groupe des huit pays industrialisés (G-8), qui comprend un certain nombre de bailleurs de fonds de longue date de l’Afrique, a insisté pour que les nouveaux bailleurs de fonds revoient leurs politiques de l’aide au développement. Lors de leur sommet qui s’est tenu l’an dernier à Heiligendamm (Allemagne), les pays membres du G-8 ont publié une déclaration intitulée “Croissance et responsabilité en Afrique”, qui invitait les nouveaux bailleurs de fonds à rendre plus transparentes les modalités de l’aide et à se conformer aux principes acceptés sur le plan international.

Parallèlement, le G-8 a encouragé les pays africains à poursuivre la mise en place de “politiques de développement judicieuses”, comprenant notamment le maintien des équilibres budgétaires, la priorité accordée au développement du secteur privé et la libéralisation des échanges aux niveaux national et international. Le G-8 a en outre insisté sur la nécessité de promouvoir les “valeurs universelles” des droits de l’homme, de la démocratie et de la bonne gouvernance.

Les détracteurs africains des pratiques des bailleurs de fonds du Nord maintiennent depuis longtemps que ces recommandations politiques sont trop pesantes. Certains ont aussi interprété les critiques émises récemment par les pays occidentaux à l’encontre des politiques de l’aide sans condition pratiquées par la Chine, l’Inde et autres nouveaux bailleurs de fonds comme une manifestation de leur inquiétude face à une possible érosion de l’influence des pays du Nord.

Après l’annonce par la Chine en septembre 2007 d’une aide de cinq milliards de dollars à la République démocratique du Congo (RDC) pour la construction de routes et d’autres infrastructures au cours des prochaines années, des représentants du Gouvernement belge, du Fonds monétaire international et d’autres institutions du Nord ont exprimé des doutes sur la nature de ce type de transaction. Un éditorial du quotidien congolais Le Potentiel a rétorqué que la RDC était un pays souverain capable de conclure des accords bilatéraux et multilatéraux, affirmant qu’il était de l’intérêt de la RDC d’avoir le plus grand nombre de partenaires économiques.

Alors que les puissances occidentales pressent la Chine et l’Inde à se montrer plus responsables dans leurs pratiques en matière d’aide et d’investissements, certains experts africains font valoir que les bailleurs de fonds du Nord ont plutôt tendance à pratiquer la responsabilité à sens unique.Yash Tandon du South Center, un groupe de réflexion intergouvernemental pour les pays en développement, estime que très souvent les pays en développement sont soumis à des règles “plus strictes que les pays bailleurs de fonds”. Il donne l’exemple de la Tanzanie, qui a reçu 541 missions de bailleurs de fonds rien qu’en 2005, au cours desquelles elle a dû s’expliquer sur quelque 700 projets administrés par 56 bureaux d’exécution. Malgré les récentes promesses des organismes d’aide du Nord d’améliorer leurs pratiques, les bailleurs de fonds de la Tanzanie sont en train d’assortir leur aide d’une série de “conditions de productivité” en consultation avec la Banque mondiale, mais sans la participation du pays récipiendaire.

Prêts, crédits, investissements

D’après la Banque mondiale, les échanges commerciaux entre l’Afrique et l’Asie se sont accrus considérablement depuis 2000. L’Afrique exporte à présent 27 % de ses produits vers l’Asie contre 14 % en 2000, ce qui correspond pratiquement au volume des exportations africaines vers les Etats-Unis ou l’Union européenne. Les exportations de l’Asie vers l’Afrique augmentent aussi très vite, à un taux de 18 % par an environ.

Indian Prime Minister Manmohan Singh with then South African President Thabo MbekiLe Premier ministre indien Manmohan Singh en compagnie de l’ex-Président sud-africain Thabo Mbeki : l’Inde s’est engagée à doubler le montant de ses prêts commerciaux à l’Afrique et le nombre de bourses aux étudiants du continent.
Photo: Reuters

Le Président Hu Jintao a déclaré à une conférence qui s’est tenue en 2006 à Beijing en la présence de 48 dirigeants africains que la Chine doublerait le volume de l’aide à l’Afrique d’ici 2009. En outre, a-t-il précisé, la Chine annulerait la dette de 33 pays africains, fournirait des prêts et des crédits préférentiels d’un montant de cinq milliards de dollars et établirait un fonds de cinq milliards de dollars destiné à encourager les investissements chinois en Afrique. En 2008, la Chine s’est engagée à financer des projets d’infrastructures nouvelles en Afrique à hauteur de 20 milliards de dollars sur trois ans. La totalité des investissements directs étrangers de la Chine en Afrique s’élevait à 1,3 milliard de dollars à la fin de 2005.

Les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique ont triplé au cours des quatre dernières années pour atteindre 25 milliards de dollars. Le Premier ministre indien Manmohan Singh a annoncé à un forum indo-africain qui s’est tenu en avril à New Delhi que son pays doublerait le montant des crédits commerciaux consentis à l’Afrique et multiplierait le nombre de bourses accordées aux étudiants du continent.

Dorothy McCormick, de l’Institute for Development Studies à l’Université de Nairobi (Kenya), fait observer que l’Inde et la Chine suivent des modèles différents d’attribution de l’aide. A son avis, l’Inde privilégie l’aide non financière notamment sous la forme d’assistance technique et de distribution de bourses, alors que la Chine offre un éventail plus varié de programmes d’aide financière et non financière.

Elle fait remarquer que l’aide chinoise est souvent subordonnée à l’utilisation de biens et de services chinois et exige une adhésion totale à la politique d’“une seule Chine”, ce qui contraint les pays récipiendaires à renoncer à la reconnaissance diplomatique des autorités de Taïwan. Néanmoins, dit-elle, cette aide n’est pas soumise à l’obligation de “bonne gouvernance” comme c’est le cas pour les bailleurs de fonds occidentaux. De ce fait, la Chine a souvent été accusée d’indulgence à l’égard des régimes autoritaires d’Afrique (bien que certains gouvernements occidentaux aient également fait l’objet de critiques pour leur soutien à des gouvernements autocratiques d’Afrique).

Mme Sun Baohong de l’ambassade de Chine aux Etats-Unis affirme pour sa part que les autorités de son pays suivent à la lettre le principe de la non-ingérence et soutiennent le développement social des pays africains. Elle considère que les critiques formulées par les partenaires traditionnels de l’Afrique à l’encontre de la politique chinoise relèvent de malentendus et de la crainte de la concurrence.

Elle réaffirme la position de son gouvernement selon lequel le recours aux sanctions et autres mesures de rétorsion prônées par les pays occidentaux contre les gouvernements coupables d’atteintes aux droits de l’homme n’est pas efficace et risque d’exacerber les tensions. A son avis, l’utilisation d’autres moyens que ceux employés par les pays occidentaux dans leurs relations avec un Etat en faillite ou un Etat vulnérable s‘avéreront plus efficaces. L’engagement chinois en Afrique s’inscrit dans l’esprit de la coopération Sud-Sud, explique-t-elle.

La Déclaration de Paris

Vingt-deux pays bailleurs de fonds appartenant au Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) des pays industrialisés ont adopté en 2005 la Déclaration de Paris dans le but de rendre plus efficaces et plus responsables les procédures de distribution de l’aide au développement. Le nouveau système qui utilise 12 indicateurs pour mesurer les succès obtenus engage en principe la responsabilité mutuelle des bailleurs de fonds et des récipiendaires. Cent quinze pays avaient adopté la déclaration à la fin de décembre 2007.

Thomas Fues, chercheur à l’Institut allemand pour le développement, note que, bien qu’ayant signé la déclaration, la Chine ne s’est pas associée aux efforts d’harmonisation de l’OCDE. De ce fait, dit-il, “ce pays ne fournit aucune information sur les montants, les domaines prioritaires et les éléments de ses programmes d’aide au développement”.

M. Fues fait valoir que l’Inde privilégie une approche plus multilatérale à l’Afrique que la Chine, ayant conclu des traités économiques avec des institutions régionales comme l’Union africaine (UA), le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), la Communauté de développement de l’Afrique australe et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. “L’Inde, en sa qualité de plus grande démocratie du monde, se trouve en phase avec les valeurs sociétales définies par l’UA et le NEPAD, mais partage la position chinoise sur le principe de la souveraineté absolue”, c’est-à-dire la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays, explique M. Fues.

Certains observateurs affirment que les pays membres du CAD ne sont pas exempts de toute critique en matière d’ouverture et de responsabilité. Dans une étude consacrée à la déclaration, M. Tandon du South Center maintient qu’il n’y a pas de véritable responsabilité mutuelle, contrairement à l’objectif déclaré de la Déclaration de Paris. “Si les pays récipiendaires manquent à leurs engagements, ils sont sanctionnés. En revanche, si les pays bailleurs de fonds n’honorent pas les leurs, ils n’en subissent pas les conséquences”, écrit-il. Alors que dans le cadre des transactions commerciales ordinaires banques et emprunteurs partagent les risques et absorbent ensemble les conséquences de l’insolvabilité, “le mécanisme d’aide proposé par l’OCDE fait assumer des risques uniquement aux pays récipiendaires”. Ces lacunes incitent les pays africains à chercher des bailleurs de fonds ailleurs, note-t-il.

Par ailleurs, des pays membres de l’OCDE n’appartenant pas au CAD deviennent des bailleurs de fonds de plus en plus importants, notamment la République tchèque, la Hongrie, l’Islande, la Corée, le Mexique, la Pologne, la Slovaquie et la Turquie. Il en est de même pour plusieurs pays n’appartenant pas à l’OCDE, comme Israël et le Koweït. La Chine demeure toutefois solidement installée en tête des nouveaux bailleurs de fonds. L’OCDE estime en effet que ce pays, qui n’a pas rendu public son budget réservé à l’aide au développement, aurait déboursé plus de 5 milliards de dollars en aide par an. L’aide accordée par l’Inde et la Russie s’élève à 100 millions de dollars par an environ, alors que les autres nouveaux bailleurs de fonds contribuent chacun moins de 10 millions de dollars par an.

Extension de la politique étrangère

Les politiques de la Chine et de l’Inde retiennent l’attention en raison de la première place qu’occupent ces deux pays parmi les nouveaux bailleurs de fonds. Une étude récemment publiée par la Banque mondiale affirme que les activités commerciales des entreprises chinoises et indiennes en Afrique bénéficient de l’appui actif de leurs gouvernements. Les autorités chinoises offrent aux investisseurs de leur pays des garanties de crédits, de prêts et d’investissements à l’exportation de 800 millions de dollars dans 22 pays par le truchement de la Banque d’import-export et de la Banque chinoise de développement. De la même façon, la Banque d’import-export de l’Inde a ouvert en 2006 une ligne de crédit de 558 millions de dollars aux pays africains.

Harry Broadman, conseiller économique à la Banque mondiale, affirme que ce type de soutien mène parfois à conclure que les activités à l’étranger des entreprises chinoises et indiennes ne sont qu’une extension de la politique étrangère des deux pays (tout en précisant que les Etats-Unis et l’Europe se sont servis de l’aide au développement de manière similaire pour promouvoir leurs secteurs privés).

Auteur d’une étude de 2007 intitulée Africa’s Silk Road – China and India’s New Economic Frontier, M. Broadman affirme que ces perceptions sont susceptibles de nuire à l’image de Beijing et de New Delhi, compte tenu de certains effets préjudiciables de leurs activités sur les populations africaines. Et d’énumérer plusieurs facteurs de déséquilibre dans leurs relations économiques avec l’Afrique : les exportations de produits africains vers l’Asie restent modestes, les investissements chinois et indiens traditionnels en Afrique, comme les projets d’exploration pétrolière ou minérale, sont à forte intensité de capital et génèrent peu d’emplois, et d’autres investissements, dans les textiles par exemple, entraînent parfois la délocalisation des producteurs africains. D’après M. Broadman, la concurrence peut inciter les entreprises africaines à améliorer leur compétitivité, mais peut aussi créer du chômage et des difficultés sociales.

A l’instar des autres investissements en Afrique, les investissements provenant de l’Inde et de la Chine se portent essentiellement sur les secteurs extractifs, comme l’exploitation pétrolière et minière. Les deux pays procèdent cependant à l’heure actuelle à une diversification de leurs activités dans des secteurs comme l’habillement, le traitement des produits alimentaires, la vente au détail, l’immobilier, les pêcheries, le tourisme, les centrales électriques et les télécommunications. Un rapport de la Banque mondiale confirme en effet que la Chine et l’Inde poursuivent des stratégies commerciales en Afrique qui vont bien au-delà de l’exploitation des ressources.