Le Secr茅taire ex茅cutif de la Commission 茅conomique des Nations Unies pour l'Afrique, Claver Gatete, parle des implications de la dette croissante de l'Afrique, des strat茅gies pour y rem茅dier et des priorit茅s de la prochaine Conf茅rence sur le financement du d茅veloppement qui se tiendra en Espagne en 2025. Voici des extraits de la premi猫re partie de son entretien avec Kingsley Ighobor d'Afrique Renouveau :
What are the implications of the rising debt for African countries and what solutions would you propose?
Notre dette augmente apr猫s chaque choc majeur. Par exemple, la dette a augment茅 lors de la crise financi猫re mondiale de 2008-2009, suivie d'une flamb茅e des prix des carburants en raison du printemps arabe. Ensuite, il y a eu la pand茅mie de COVID-19, et peu apr猫s, la guerre en Ukraine. Aujourd'hui, nous avons le conflit au Moyen-Orient. La combinaison de tous ces facteurs a oblig茅 les pays 脿 emprunter davantage.
Les crises mondiales d茅tournent les fonds du d茅veloppement pour les consacrer 脿 la gestion des conflits, ce qui fait grimper les prix des carburants et des denr茅es alimentaires et contribue 脿 l'inflation.
Ce n'est pas la premi猫re fois que des pays sont confront茅s 脿 un endettement 茅lev茅, mais il y a toujours eu une solution, principalement parce que la majeure partie de la dette 茅tait due au Club de Paris, aux institutions de Bretton Woods [le FMI et la Banque mondiale] et aux banques r茅gionales de d茅veloppement. Il 茅tait facile de rassembler les gens pour s'attaquer au probl猫me.
Cette fois-ci, la dette est de plus en plus due 脿 des cr茅anciers n'appartenant pas au Club de Paris, notamment la Chine, l'Inde, le monde arabe, la Turquie, etc. Il est difficile pour tous les cr茅anciers de s'asseoir ensemble et de proposer une solution.
Par ailleurs, les 茅conomies des pays se sont d茅velopp茅es depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais les ressources n'ont pas suivi. Les ressources concessionnelles auxquelles les pays en d茅veloppement avaient acc猫s n'ont pas augment茅 au m锚me rythme que la croissance 茅conomique.
En outre, le financement des institutions financi猫res internationales est souvent insuffisant, ce qui pousse les pays 脿 compl茅ter leurs ressources par un m茅lange de ressources concessionnelles, de ressources non concessionnelles et de pr锚ts priv茅s.
Il est difficile de coordonner ces sources de financement. C'est l脿 qu'intervient le cadre commun du G-20 pour le traitement de la dette, m锚me s'il comporte des 茅l茅ments compliqu茅s. Par exemple, auparavant, les pays en n茅gociation n'茅taient pas tenus de payer des int茅r锚ts, mais cette fois-ci, ils doivent continuer 脿 payer des int茅r锚ts m锚me pendant les n茅gociations, qui durent maintenant beaucoup plus longtemps. Nous avons vu ce processus prolong茅 avec le Ghana, la Zambie et l'脡thiopie.
Combien de temps durent ces n茅gociations ?
Elles peuvent durer des ann茅es, selon la rapidit茅 avec laquelle les pays auxquels vous devez de l'argent sont d'accord ou non.
Quel est l'impact sur les 茅conomies africaines ?
La plupart des dettes, sinon toutes, sont libell茅es en devises 茅trang猫res, ce qui signifie que les pays africains ne peuvent pas rembourser en monnaie locale.
Cela devient un probl猫me si la monnaie locale est faible, car la dette est g茅n茅ralement rembours茅e par les r茅serves, qui d茅pendent des entr茅es de devises 茅trang猫res, souvent sous forme d'aide. De plus, lorsque vous augmentez vos exportations, vous gagnez des devises.
Toutefois, 脿 l'heure actuelle, l'aide et l'investissement direct 茅tranger ont diminu茅 et les exportations n'augmentent pas comme pr茅vu.
La comparaison entre les recettes en devises et les paiements en devises r茅v猫le des implications macro茅conomiques significatives. Cela signifie que les banques centrales n'ont pas la capacit茅 de soutenir le syst猫me bancaire des importateurs de biens et de services.
Deuxi猫mement, le remboursement de la dette limite la marge de man艙uvre budg茅taire pour les d茅penses dans d'autres secteurs. Habituellement, les filets de s茅curit茅 sociale et les secteurs tels que l'茅ducation et les soins de sant茅 sont r茅serv茅s. Mais l'espace budg茅taire limit茅 affecte les filets de s茅curit茅 sociale et nous ne disposons pas de syst猫mes de protection sociale avanc茅s comme dans les pays riches.
Alors que l'inflation augmente, les salaires stagnent et les gens s'appauvrissent.
Existe-t-il des solutions 脿 ces probl猫mes ?
Oui. La premi猫re 茅tape consiste 脿 s'attaquer au probl猫me urgent de la dette. La deuxi猫me 茅tape consiste 脿 s'attaquer 脿 ses causes profondes.
Il est n茅cessaire de r茅former l'architecture financi猫re internationale. Il est difficile de trouver une solution durable sans restructurer l'茅conomie mondiale 茅tablie apr猫s la Seconde Guerre mondiale, ainsi que sa gouvernance, ses finances, son actionnariat et d'autres questions syst茅miques. Cet effort [de r茅forme] est men茅 par le secr茅taire g茅n茅ral des Nations unies [Ant贸nio Guterres], qui tente de trouver un terrain d'entente avec les institutions financi猫res internationales.
La mobilisation des ressources nationales est 茅galement importante, mais elle n茅cessite des r茅formes fiscales et la formalisation du secteur informel, qui repr茅sente 82 % de l'emploi total. Les pays doivent num茅riser leurs 茅conomies afin que chacun paie sa juste part d'imp么ts, et ils doivent s'attaquer aux flux financiers illicites.
Il y a aussi le secteur priv茅, qui d茅pend du syst猫me bancaire et des march茅s de capitaux pour son financement. Sans march茅s des capitaux ou bourses fonctionnels, le secteur priv茅 n'a aucun moyen d'obtenir de l'argent. La plupart de nos syst猫mes bancaires ne sont pas cot茅s, de sorte que les emprunts sont tr猫s co没teux. C'est pourquoi la bourse est essentielle.
Un autre facteur est la notation de cr茅dit. Une meilleure notation permet d'acc茅der 脿 des ressources relativement moins ch猫res et inspire confiance aux investisseurs et aux pr锚teurs. C'est pourquoi nous travaillons avec le M茅canisme africain d'茅valuation par les pairs, le Programme des Nations unies pour le d茅veloppement (PNUD) et d'autres partenaires pour aider les pays 脿 renforcer leurs capacit茅s et 脿 am茅liorer leur cote de cr茅dit.
Depuis l'ind茅pendance, seuls deux pays africains sur 54 ont obtenu une notation de qualit茅.
Quels sont ces pays ?
Le Botswana et l'卯le Maurice.
Dans quelle mesure les institutions financi猫res multilat茅rales sont-elles r茅ceptives aux appels 脿 la r茅forme de l'architecture financi猫re mondiale, qui est 茅galement un 茅l茅ment cl茅 du Pacte pour l'avenir ?
Elles ressentent la pression, mais le changement prend du temps. Il ne s'agit pas seulement du syst猫me bancaire ou des institutions financi猫res elles-m锚mes ; ces institutions g猫rent les fonds de leurs actionnaires. Les actionnaires sont avant tout les pays membres. Certains actionnaires ne veulent pas perdre leur participation majoritaire.
Par exemple, en 2021, l'Afrique n'a re莽u que 5 % (environ 33 milliards de dollars) des 650 milliards de dollars de droits de tirage sp茅ciaux du FMI.
La participation de l'Afrique au FMI est 茅quivalente 脿 celle de l'Allemagne. La r茅forme de cet accord de participation et l'octroi d'une part plus importante aux pays r茅soudront ce probl猫me.
En ce qui concerne les r茅formes, nous avons vu l'agenda d'Addis-Abeba, la d茅claration de Doha et le consensus de Monterrey, qui visent essentiellement 脿 aider les pays les plus pauvres 脿 surmonter les obstacles au d茅veloppement. Comment pouvons-nous 锚tre s没rs que le changement est possible cette fois-ci ?
Les crises et les conflits mondiaux ont rendu plus difficile, m锚me pour les pays riches, le respect de leurs engagements. Les pays d茅velopp茅s s'茅taient engag茅s 脿 consacrer 0,7 % de leur PNB 脿 l'aide publique au d茅veloppement des pays en d茅veloppement, dont de nombreux pays africains. Tr猫s peu de pays ont respect茅 cette obligation.
En 2009, les pays d茅velopp茅s se sont engag茅s 脿 verser 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 aux pays en d茅veloppement au titre du financement de la lutte contre le changement climatique, engagement qu'ils n'ont pas tenu.
L'aide a diminu茅 et 71 % des financements publics pour le climat sont des pr锚ts. Tout ce que nous faisons en termes de financement innovant est, en fin de compte, une nouvelle dette qui s'ajoute 脿 la dette existante.
Nous avons besoin de solutions durables, et pas seulement d'une r茅forme de l'architecture financi猫re mondiale, car cela prendra du temps. C'est pourquoi nous insistons sur la n茅cessit茅 de mobiliser les ressources nationales.
Quelles seront les priorit茅s de l'Afrique lors de la conf茅rence sur le financement du d茅veloppement qui se tiendra l'ann茅e prochaine en Espagne ?
Elles sont nombreuses. La CEA a men茅 des n茅gociations de haut niveau, en collaboration avec les ministres des finances africains, afin d'aborder des questions essentielles, notamment celle de la dette.
Deuxi猫mement, nous devons r茅fl茅chir 脿 ce que nous faisons en termes de ressources concessionnelles, au r么le que le syst猫me bancaire devrait jouer et 脿 la mani猫re d'accro卯tre les ressources financi猫res pour les pays en d茅veloppement.
Troisi猫mement, nous devons nous pencher sur les co没ts li茅s au climat, qui repr茅sentent actuellement au moins 5 % du PIB de l'Afrique.
La transition 茅nerg茅tique est 茅galement une priorit茅. Nous voyons toutes sortes d'investissements, mais nous sommes confront茅s 脿 des d茅fis en mati猫re d'investissement dans la transition 茅nerg茅tique. Lorsque l'on demande aux pays d'op茅rer une transition, la question qui se pose est la suivante : une transition 脿 partir de quoi ? Certains pays n'ont m锚me pas d'茅lectricit茅 ou de combustible fossile pour assurer la transition. De nombreux pays africains ne disposent m锚me pas d'une infrastructure 茅lectrique de base, mais on attend d'eux qu'ils op猫rent une transition sans financement suffisant.
Sur les 733 millions de personnes qui n'ont pas acc猫s 脿 l'茅lectricit茅 dans le monde, 80 % se trouvent en Afrique.
L'Afrique n'a re莽u que 2 % des 10 000 milliards de dollars investis au niveau mondial dans la transition 茅nerg茅tique entre 2015 et 2022.
Parmi les autres priorit茅s figurent la lutte contre les flux financiers illicites et la recherche d'un consensus sur la r茅forme du syst猫me fiscal international.
Existe-t-il des opportunit茅s pour l'Afrique dans le domaine du financement vert et des cr茅dits carbone ?
Absolument. Nous disposons de financements innovants. Nous avons des obligations vertes, des obligations bleues et des cr茅dits carbone.
En Afrique, le carbone se vend souvent 脿 moins de 10 dollars la tonne - parfois m锚me 脿 5 dollars la tonne - alors que les prix en Europe et ailleurs d茅passent les 100 脿 120 dollars la tonne.
Les pays africains n'ont pas la capacit茅 de n茅gocier efficacement. L'une des choses que nous faisons 脿 la CEA est d'aider les pays 脿 comprendre les 茅l茅ments n茅cessaires aux n茅gociations. Par exemple, nous avons aid茅 脿 茅tablir des registres dans le cadre de l'initiative de la Commission du bassin du Congo sur le climat, 脿 laquelle participent 16 pays
Il existe 茅galement d'autres m茅canismes tels que les 茅changes dette-carbone, o霉 les cr茅dits carbone peuvent 锚tre 茅chang茅s pour r茅duire la dette et financer des secteurs importants tels que l'茅ducation et les soins de sant茅.
