Dans sa premi猫re interview en tant que Secr茅taire g茅n茅ral adjoint et Secr茅taire ex茅cutif de la Commission 茅conomique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), M. Claver Gatete a parl茅 avec Kingsley Ighobor de la n茅cessit茅 de r茅former l'architecture financi猫re mondiale pour qu'elle profite plus efficacement aux pays en d茅veloppement. Il 茅voque 茅galement sa vision de l'organisation et l'importance de donner aux femmes et aux jeunes les moyens de jouer un r么le essentiel dans le d茅veloppement de l'Afrique.听
Voici des extraits de l'entretien :
Vous venez de prendre les fonctions de Secr茅taire ex茅cutif de la CEA. Quelle est votre vision de l'organisation ?
Je ne pense pas qu'il soit n茅cessaire de cr茅er une nouvelle vision pour la CEA. L'organisation a d茅j脿 un mandat, 茅tabli en 1958, pour soutenir le d茅veloppement 茅conomique et social sur le continent africain.
Au d茅part, elle collaborait avec l'Organisation de l'unit茅 africaine et travaille aujourd'hui avec l'Union africaine (UA) pour aider les pays membres dans leurs efforts de d茅veloppement.
Notre objectif principal est d'aider les minist猫res concern茅s (des pays africains), en particulier les minist猫res des finances et du d茅veloppement 茅conomique, 脿 se doter des capacit茅s n茅cessaires pour g茅rer leurs 茅conomies respectives et promouvoir l'int茅gration de l'Afrique.
En outre, la CEA fournit une assistance aux cinq communaut茅s 茅conomiques r茅gionales (CER) dans leur qu锚te d'int茅gration 茅conomique.
Nous avons maintenant l'accord de libre-茅change continental africain (ZLECAf), qui vise 脿 relier l'ensemble du continent, et nous travaillons en partenariat avec le secr茅tariat de la ZLECAf, dont le si猫ge se trouve 脿 Accra, au Ghana.
Cependant, tout tourne autour de l'Agenda 2063, la vision de l'UA adopt茅e par les chefs d'脡tat en 2013 pour que les pays africains atteignent le statut de pays 脿 revenu interm茅diaire. La CEA aide les gouvernements 脿 int茅grer l'Agenda 2030 pour le d茅veloppement durable dans leurs processus de d茅veloppement.
Nous reconnaissons l'importance d'engager et d'obtenir la participation active du secteur priv茅, et des partenaires tels que la Banque africaine de d茅veloppement, Afreximbank et d'autres jouent un r么le essentiel dans le d茅veloppement de l'Afrique.
En tirant parti de nos relations avec d'autres Commissions 茅conomiques des Nations Unies dans le monde, nous pouvons apprendre les uns des autres et contribuer aux r茅formes de l'architecture financi猫re mondiale.
Vous avez une grande exp茅rience dans diff茅rents domaines, au niveau national, r茅gional et international. Peut-on dire que votre parcours vous a pr茅par茅 de mani猫re unique 脿 ce travail ?
C'est vrai. Par exemple, en tant que gouverneur de la Banque nationale du Rwanda, vous comprenez au moins la politique mon茅taire et la stabilit茅 financi猫re, qui sont des 茅l茅ments cruciaux pour le d茅veloppement de tout pays et la mobilisation des ressources nationales.
Nous nous sommes souvent concentr茅s sur la fiscalit茅 sans r茅ellement cr茅er un syst猫me financier qui permette au secteur priv茅 de mobiliser les ressources n茅cessaires aux investissements. 脢tre ministre des finances permet de comprendre les d茅fis et les options disponibles pour financer et g茅rer une 茅conomie.
Une 茅conomie a besoin de financement, de stabilit茅 macro茅conomique et de renforcement des capacit茅s. La CEA offrira aux pays des conseils et une formation appropri茅s.
Notre centre de formation, l'Institut africain de d茅veloppement 茅conomique et de planification (IDEP), bas茅 au S茅n茅gal, a la capacit茅 de soutenir tous les pays.
Mais il y a un autre 茅l茅ment, qui est la mani猫re dont nous soutenons le secteur priv茅. Comment les pays peuvent-ils r茅duire les risques ou s'engager dans des partenariats public-priv茅 (PPP), etc. Mon exp茅rience sera donc utile, car nous savons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
En outre, les cinq bureaux sous-r茅gionaux de la CEA r茅partis sur le continent renforceront notre capacit茅 脿 avoir un impact significatif.
En travaillant sous l'茅gide de la Commission de l'UA, nous pouvons nous concentrer sur les avantages comparatifs des diff茅rentes r茅gions. Certains pays d'Afrique australe, par exemple, sont riches en minerais et nous pouvons y cr茅er une cha卯ne de valeur et des zones 茅conomiques sp茅ciales pour catalyser l'industrialisation.
La CEA joue un r么le crucial dans la promotion des projets d'infrastructure r茅gionaux, mais la t芒che est souvent complexe en raison de la diversit茅 des politiques, des priorit茅s et des capacit茅s des pays. Comment comptez-vous aider l'Afrique 脿 relever ce d茅fi ?
La cl茅 r茅side dans une coordination efficace. Il existe d茅j脿 des infrastructures communes dans de nombreuses r茅gions. La Communaut茅 de l'Afrique de l'Est, par exemple, a interconnect茅 des projets ferroviaires et 茅nerg茅tiques, ce qui permet le partage de l'茅lectricit茅 entre les pays membres.听
Nous avons un projet 茅nerg茅tique de 80 m茅gawatts en Afrique de l'Est, partag茅 entre la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. Le projet 茅nerg茅tique Ruzizi III est un autre exemple de collaboration r茅gionale, dont b茅n茅ficient le Burundi, la RDC et le Rwanda.
Nous avons deux corridors : le corridor nord et le corridor central, avec de nombreux projets le long de chaque route. Le corridor nord s'茅tend du Kenya 脿 l'Ouganda, en passant par le Rwanda et le Burundi. Le corridor central va de la Tanzanie 脿 la RDC en passant par le Rwanda.听
Les pays envisagent de construire des lignes de chemin de fer dans les deux corridors. 听Ces corridors facilitent le transport et sont particuli猫rement pr茅cieux pour les pays enclav茅s comme le Rwanda et le Burundi.
L'Afrique de l'Ouest dispose 茅galement d'un pool 茅nerg茅tique.
Entre-temps, des mesures simples peuvent 锚tre prises, telles que l'茅limination des barri猫res tarifaires et non tarifaires au commerce.
Vous 茅tiez le repr茅sentant du Rwanda aupr猫s de l'AUDA-NEPAD ? De votre point de vue, est-il possible d'am茅liorer les relations entre la CEA et l'UA ?听
Certainement. Le r么le de la CEA est de soutenir la mise en 艙uvre de l'Agenda 2063, une vision port茅e par les dirigeants de l'UA. Alors que les dix premi猫res ann茅es de l'Agenda 2063 se sont 茅coul茅es et que nous nous lan莽ons dans un nouveau programme d茅cennal, la CEA jouera un r么le de soutien dans la r茅alisation des objectifs de l'UA.听
La ZLECAf a 茅t茅 largement accept茅e sur le plan conceptuel, mais seuls huit pays africains environ commercent dans le cadre de son initiative de commerce guid茅. 脢tes-vous satisfait des progr猫s actuels ?
L'objectif est d茅sormais d'aider les pays 脿 茅laborer et 脿 mettre en 艙uvre des strat茅gies pour la ZLECAf. Il est important de noter qu'il s'agit d'une initiative relativement nouvelle et que nous avons assist茅 脿 un d茅but prometteur sur la voie de l'int茅gration.
Au fur et 脿 mesure que nous avan莽ons, le nombre de pays qui atteindront le seuil d'茅change augmentera.听
Nous pensons que la ZLECAf a le potentiel de changer la donne en termes de promotion de l'int茅gration et de facilitation du commerce 脿 travers le continent.
Les 茅conomies africaines ont 茅t茅 confront茅es 脿 des chocs externes inattendus, notamment le COVID-19, les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, et l'impact du changement climatique. Comment le continent peut-il relever ces d茅fis ?
Vous avez raison. Nous avions l'habitude de subir des chocs, mais cette fois-ci, c'est diff茅rent. Nous avons connu la crise financi猫re de 2008 脿 2009. Puis le COVID-19, qui n'avait jamais 茅t茅 anticip茅. Aujourd'hui, nous avons les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient.
Rien qu'脿 cause de COVID-19, les pays ont 茅t茅 contraints d'emprunter de l'argent pour sauver des vies, tandis que la guerre en Ukraine a provoqu茅 une inflation mondiale. C'est une tr猫s mauvaise combinaison, car elle a consid茅rablement alourdi le fardeau de la dette. Cela signifie que vous payez la dette en devises 茅trang猫res, ce qui 茅puise vos r茅serves et limite la capacit茅 d'une banque centrale 脿 intervenir sur le march茅.听
Les pays sont confront茅s 脿 des choix difficiles : ils doivent d茅cider s'ils donnent la priorit茅 au remboursement de la dette ou 脿 l'investissement dans les objectifs de d茅veloppement durable (ODD), tels que la sant茅, l'茅ducation et d'autres secteurs essentiels.
C'est difficile ! C'est pourquoi nous parlons de r茅formes de l'architecture financi猫re internationale.
Quel est l'argument cl茅 en faveur des r茅formes de l'architecture financi猫re internationale ?
Nous demandons des r茅formes pour que les pays puissent avoir acc猫s 脿 des ressources 脿 long terme. Les r茅formes d'institutions telles que les institutions de Bretton Woods et les banques de d茅veloppement sont cruciales. Nous devons veiller 脿 ce que les pays du Sud aient acc猫s 脿 des ressources 脿 long terme, car ils ne sont pas not茅s AAA pour acc茅der 脿 des emprunts abordables sur le march茅.听
Ils d茅pendent de ressources concessionnelles 脿 long terme, d'une dur茅e d'environ 40 ans et plus, avec un d茅lai de gr芒ce de 10 ans, etc.听
Mais cet argent n'a pas augment茅 aussi vite que l'expansion de l'茅conomie, ce qui signifie que pour servir leurs 茅conomies, les pays ont 茅t茅 oblig茅s d'aller au-del脿 des ressources concessionnelles et d'emprunter sur le march茅. Pour ce faire, il faut des ressources co没teuses 脿 court terme et tr猫s peu de ressources 脿 long terme.听
En outre, il est essentiel de s'attaquer au probl猫me du surendettement.听
Avec de multiples pr锚teurs, dont la Chine, l'Inde et des pr锚teurs priv茅s qui 茅mettent des euro-obligations, il est n茅cessaire de r茅unir toutes les parties prenantes pour discuter et trouver des solutions durables aux surendettements.
Est-ce faisable ?听
Oui. Et il existe des possibilit茅s. Le Secr茅taire g茅n茅ral des Nations Unies, Antonio Guterres, a propos茅 de stimuler les ODD 脿 hauteur de 500 milliards de dollars par an et a fourni une voie praticable pour obtenir ce financement, alors m锚me que nous trouvons une solution permanente.
Ce financement peut faire une diff茅rence significative dans la r茅alisation des ODD, l脿 o霉 les progr猫s ont 茅t茅 les plus lents.
Venant du Rwanda, un pays connu pour combler les in茅galit茅s entre les hommes et les femmes, quel est votre point de vue sur la participation des femmes au d茅veloppement de l'Afrique ?
L'茅galit茅 entre les hommes et les femmes est une pr茅occupation majeure des Nations Unies et de nombreux pays membres.听
Des progr猫s ont 茅t茅 accomplis dans la r茅duction de l'茅cart entre les hommes et les femmes, les Nations Unies promouvant activement l'int茅gration des femmes et la r茅alisation d'un 茅quilibre entre les hommes et les femmes au niveau des cadres sup茅rieurs. De m锚me, la CEA progresse, avec une repr茅sentation de pr猫s de 50 % de femmes aux postes de direction.
Au Rwanda, les efforts pour promouvoir l'茅galit茅 des sexes ont commenc茅 il y a longtemps, notamment par la mise en 艙uvre d'une budg茅tisation sensible au genre. Notre constitution, comme celle de nombreux pays, garantit la participation des femmes aux organes de d茅cision. Le Rwanda s'enorgueillit d'avoir plus de 60 % de femmes parlementaires et une repr茅sentation de 50 % au sein du cabinet.
En outre, la participation des femmes s'茅tend 脿 divers aspects de la vie, y compris la gouvernance 茅conomique et politique. Les barri猫res juridiques ont 茅t茅 茅limin茅es, garantissant un salaire 茅gal pour un travail 茅gal, et les femmes ne sont plus exclues de la propri茅t茅 fonci猫re et de l'h茅ritage.
Parall猫lement, les femmes doivent participer au secteur priv茅. Elles doivent avoir acc猫s au financement et aux pr锚ts et pouvoir se lancer dans les affaires.听
Au-del脿 des Nations Unies, les femmes africaines doivent-elles s'attendre 脿 ce que vous les d茅fendiez ?听
C'est une n茅cessit茅. Il n'y a pas d'autre moyen. Je m'engage 脿 d茅fendre la participation active des femmes dans tous les domaines - social, 茅conomique et politique. Il n'y a aucune raison pour que les femmes ne b茅n茅ficient pas de l'茅galit茅 des chances, et je pense qu'il s'agit d'un 茅l茅ment essentiel du d茅veloppement de l'Afrique.
Comment la CEA peut-elle soutenir l'茅conomie num茅rique, en particulier pour les jeunes Africains qui consid猫rent ce secteur comme une opportunit茅 importante ?
Aux Nations Unies, le Rwanda et la Su猫de dirigent et cofacilitent le Pacte mondial pour le num茅rique, qui sera un 茅l茅ment cl茅 du prochain Sommet de l'avenir.
La technologie joue un r么le crucial dans le d茅veloppement, et nous devons veiller 脿 ce que tout le monde, en particulier les 2,6 milliards de personnes qui ne sont toujours pas connect茅es, ait acc猫s aux possibilit茅s num茅riques.听
Des organisations telles que Smart Africa et Transform Africa aident certains pays africains dans le domaine des technologies num茅riques.
Le Rwanda a commenc茅 par l'infrastructure 脿 large bande. Un expert de la CEA nous a aid茅s 脿 cr茅er une vision. Depuis, la technologie a permis d'am茅liorer l'acc猫s au financement, d'interconnecter le gouvernement, d'accro卯tre l'efficacit茅 de notre syst猫me juridique - il existe d茅sormais un syst猫me de gestion 茅lectronique des dossiers, qui relie tous les tribunaux. Elle a contribu茅 脿 la num茅risation des registres fonciers - nous savons qui poss猫de quelle terre.听
Les services de transfert d'argent par t茅l茅phone mobile, comme M-Pesa au Kenya, ont r茅volutionn茅 les transactions financi猫res et la responsabilisation.
En outre, l'intelligence artificielle est tr猫s prometteuse pour des secteurs tels que la sant茅, l'茅ducation et l'agriculture, et l'Afrique ne peut pas rester 脿 la tra卯ne.听
Pour soutenir l'茅conomie num茅rique, nous devons donner la priorit茅 脿 la connexion des pays qui ne le sont pas encore. Les initiatives de l'Union internationale des t茅l茅communications et de la CEA vont dans ce sens.
脌 quoi correspondrait le succ猫s pour vous 脿 la CEA?听
Le succ猫s est la r茅alisation de l'objectif fondamental de la CEA.听
Si nous pouvons aider les pays 脿 traverser cette p茅riode difficile, 脿 r茅soudre les probl猫mes de financement, de dette, d'int茅gration et d'infrastructure, et 脿 stimuler l'int茅r锚t et les investissements du secteur priv茅 sur le continent africain, nous aurons r茅ussi.
En outre, le succ猫s implique de soutenir la Commission de l'UA dans la mise en 艙uvre effective de l'Agenda 2063 et la r茅alisation des ODD. Le renforcement de la r茅silience, en particulier face aux chocs actuels et futurs, est un marqueur cl茅 de la r茅ussite pour la CEA.
