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Financer le développement

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Financer le développement

Détermination de l’impact sexospécifique de l’aide au développement
Afrique Renouveau: 
Das Fotoarchiv / Charlotte Thege
Wood workerEn Afrique, peu de femmes travaillent dans les secteurs formels de l’économie et même celles qui y travaillent gagnent généralement trop peu pour échapper à la pauvreté.
Photo: Das Fotoarchive / Charlotte Thege

Alors que l’égalité entre les sexes est considérée comme un droit fondamental depuis plusieurs décennies, les femmes restent largement exclues des postes supérieurs de la fonction publique et du monde des affaires, gagnent moins que leurs collègues masculins et se heurtent à de multiples coutumes, traditions et mentalités qui limitent leurs chances de promotion. Les Etats, les entreprises et la communauté internationale, qui prônent l’amélioration de la situation des femmes, affectent-ils à cette fin des crédits suffisants ? Les budgets internationaux d’aide au développement, les fonds fournis par les Etats et les ressources du secteur privé sont-ils investis de manière à réduire les inégalités économiques, sociales et politiques entre les hommes et les femmes ?

La réponse, note Jacinta Muteshi, présidente de la commission gouvernementale kenyane Gender and Development est généralement négative. Bien que la représentation politique des femmes ait fait quelques progrès, les avancées dans le domaine économique ont été limitées, en particulier pour les femmes les plus pauvres. La raison en est que les désavantages “s’enracinent souvent dans les institutions sociales, les politiques macroéconomiques et les stratégies de développement, qui ne reconnaissent pas suffisamment que les femmes sont d’importants agents du développement économique et de la réduction de la pauvreté”, a déclaré à Afrique Renouveau Mme Muteshi.

Le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM) constate dans son rapport 2008 intitulé Le progrès des femmes à travers le monde que “pour un grand nombre de femmes, en particulier les plus pauvres et les plus marginales, les progrès ont été beaucoup trop lents”. Dans quelques pays, dont le Rwanda et l’Afrique du Sud, le nombre de femmes a augmenté au parlement, ainsi que parmi les rangs des autres élus et dans la fonction publique. Mais UNIFEM note qu’au rythme de progression actuel les femmes n’atteindront pas la parité avec les hommes dans les assemblées législatives des pays en développement avant 2047 au plus tôt.

Le visage féminin de la pauvreté

La parité économique est encore plus lointaine. D’après le rapport, dans le domaine de l’emploi la discrimination sexospécifique fait que “les femmes sont plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois ‘informels’, de subsistance et des ‘emplois vulnérables’, c’est-à-dire de travailleur indépendant et au sein d’entreprises familiales. Selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), plus de 67 % des Africaines sont employées dans l’agriculture, essentiellement dans l’agriculture de subsistance pratiquée sur de petites parcelles. En Afrique subsaharienne, parmi les femmes détentrices d’un emploi, moins d’une sur cinq touche régulièrement un salaire ou une autre rémunération, par comparaison avec un tiers des hommes africains ayant un emploi et presque 93 % des femmes des pays développés du Nord.

Growing cassavaCulture du manioc : les bailleurs de fonds devraient affecter une plus grande partie de l’aide au développement aux projets concernant les femmes.
Photo: UNMIL / Christopher Herwig

Même pour la minorité qui touche effectivement un salaire, un emploi rémunéré ne permettra probablement pas d’échapper à la pauvreté. Bien que le manque de données empêche l’OIT de calculer l’écart en matière de rémunérations entre les hommes et les femmes en Afrique subsaharienne (au niveau mondial la rémunération des femmes est actuellement en moyenne égale à 83 % de celle des hommes), elle constate qu’en Afrique plus de la moitié des détenteurs d’emplois rémunérés gagnent moins d’un dollar par jour, le seuil communément accepté de pauvreté absolue.

Le pourcentage de salariés africains qui gagnent moins de 2 dollars par jour dépassait 86 % en 2006, un chiffre qui n’a pratiquement pas changé depuis dix ans malgré des taux de croissance relativement élevés au cours des dernières années. Les économistes du travail considèrent que le grand nombre de “travailleurs pauvres” s’explique par les inégalités de revenus considérables qui existent en Afrique.

Les obstacles supplémentaires auxquels font face les femmes sont mis en évidence par le dernier Entreprise Survey de la Banque mondiale, qui constate que, dans le secteur public comme dans le secteur privé, seulement une Africaine salariée sur 26 est employée à un poste de cadre supérieur, par comparaison avec 1 homme sur 6. Cette absence de perspectives de promotion dans leur pays explique qu’un nombre beaucoup plus important de femmes africaines ayant fait des études universitaires, près de 28 %, quittent le continent pour trouver un emploi, contre 17 % des hommes ayant le même niveau d’éducation.

Une donne économique faussée

Le Programme des Nations Unies pour le développement et d’autres organismes estiment que dans le monde jusqu’à 70 % des pauvres sont des femmes. Mme Muteshi explique que la donne économique est faussée pour les femmes à tous les égards ou presque. Citant des estimations de l’ONU, elle constate qu’au niveau mondial les femmes accomplissent deux tiers des heures travaillées et produisent la moitié des aliments, mais ne gagnent que 10 % des revenus mondiaux et détiennent moins de 1 % des biens.

Cet écart reflète avant tout “l’absence de femmes aux postes de direction de l’économie”, affirme-t-elle. Les femmes africaines sont rarement présentes parmi les cadres supérieurs des banques centrales ou des Ministères des finances, de la planification ou du commerce. “On peut dire la même chose de la représentation des femmes dans le secteur privé.”

A small shop owner in GhanaPetite commerçante dans sa boutique au Ghana : le microcrédit a aidé les femmes à développer leurs activités commerciales mais des prêts plus importants doivent être offerts.
Photo: Richard Lord

La croissance économique a créé des emplois pour les femmes des pays en développement dans des industries à forte proportion de main-d’œuvre comme la confection, la chaussure et l’assemblage de composants électroniques ; mais ces industries sont également celles où les salaires et conditions de travail sont notoirement médiocres.

Comprendre où va l’argent

Dans les années 1980, les défenseurs des droits de la femme ont commencé à passer au crible les budgets publics pour comprendre la manière dont les flux financiers affectaient les femmes. Ces militants se sont d’abord penchés sur le domaine qui a le plus d’importance pour les femmes, le budget de l’Etat. En analysant les finances publiques par la méthode dite de “l’analyse budgétaire adaptée aux besoins des femmes” (voir Afrique Renouveau d’avril 2002), ils espéraient faire en sorte que les femmes bénéficient de manière équitable des dépenses inscrites au budget national.

Dans un rapport de décembre 2007 sur le financement pour l’égalité entre les sexes présenté à la Commission de la condition de la femme des Nations Unies, le Secrétaire général Ban Ki-moon a noté que 50 Etats dans le monde, dont plusieurs Etats africains, s’aidaient de la budgétisation axée sur l’égalité entre les sexes pour déterminer leurs priorités budgétaires.

Des efforts ont également été faits pour évaluer le coût des inégalités entre les sexes. Le rapport du Secrétaire général estime que l’équivalent de 0,1 à 0,3 % du produit intérieur brut (PIB) est perdu chaque année faute de “promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes”, le troisième des huit Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) adoptés à l’échelle internationale.

Cet objectif consiste en particulier à éliminer les disparités entre les sexes à tous les niveaux de l’enseignement d’ici à 2015. Le rapport estime que pour réaliser cet objectif dans les pays pauvres il faudrait faire passer les dépenses annuelles consacrées aux programmes en faveur de l’égalité des sexes de 8,6 milliards de dollars (estimation de 2006) à près de 24 milliards en 2015. La Banque mondiale estime que les dépenses nécessaires pour atteindre l’égalité économique et sociale entre les hommes et les femmes s’élèveront à l’horizon 2015 à 83 milliards de dollars par an.

Aide et responsabilisation

Récemment, UNIFEM et des organisations de femmes ont examiné d’autres flux financiers comme l’aide publique au développement (APD) ainsi que les prêts et les échanges internationaux. UNIFEM a constaté quelques progrès concernant l’aide au développement.

Entre 2002 et 2006, rapporte l’OCDE, l’aide au développement consacrée aux programmes au moins partiellement conçus pour promouvoir l’égalité des sexes est passée de 2,5 à 7,2 milliards de dollars, et l’aide ayant eu un véritable effet dans ce domaine est passée de 15 à 26,8 milliards de dollars. Mais l’organisation constate aussi que cette aide “sexospécifique” au développement s’est concentrée de manière écrasante dans les services sociaux. En ce qui concerne l’APD consacrée aux infrastructures et aux activités directement productives comme l’exploitation minière, l’industrie manufacturière et l’agriculture, seulement un dollar sur quatre a été affecté à des projets qui comptaient l’égalité des sexes parmi leurs objectifs.

Ces efforts plus généraux pour améliorer l’efficacité de l’aide au développement ont permis aux militants de faire pression pour obtenir un meilleur financement des initiatives en faveur de l’égalité des femmes. Mais UNIFEM note que le financement des projets consacrés à l’égalité des sexes représentait en 2006 moins de 5 % du total de l’aide au développement de l’OCDE.

UNIFEM maintient qu’il importe également d’adopter des cibles et des objectifs concrets dans les plans de réforme. Ceci aiderait les décideurs et les organisations de la société civile à élaborer des programmes plus favorables à l’égalité des sexes.

Les Etats qui reçoivent l’aide au développement se doivent également d’obtenir de meilleurs résultats. Les bailleurs de fonds ont ces dernières années commencé à affecter un plus grand pourcentage de leurs contributions aux budgets nationaux dans leur ensemble au lieu de financer des projets précis. Une étude récente du Réseau pour l’égalité entre les sexes de l’OCDE a constaté que de tels financements “de programme” laissent aux Ministères des finances des pays bénéficiaires le soin d’affecter les fonds, “ces ministères ignorant fréquemment que… l’égalité entre les sexes relève du développement, tout comme de nombreux responsables du côté des bailleurs de fonds”.

Libéralisation en question

Mme Muteshi pense que le problème a des racines plus profondes. “Les structures économiques néolibérales actuelles présentent en général des désavantages pour les femmes”, affirme-t-elle. Car lorsqu’on s’intéresse seulement à la croissance du PIB, il est impossible de reconnaître “la dimension sexospécifique de nos vies économiques”.

Selon elle, même l’augmentation de l’aide des bailleurs de fonds aux secteurs qui bénéficient aux Africaines, comme la santé et l’éducation, est souvent décidée sans la participation des femmes.

Mme Muteshi reconnaît cependant quelques points positifs. Les femmes ont tiré profit des prêts de microfinance qui sont aujourd’hui offerts dans la plupart des pays africains.

Mme Muteshi affirme que le plus grand inconvénient des programmes d’aide au développement en Afrique tient au fait qu’ils n’investissent généralement pas dans les secteurs qui sont particulièrement importants pour les femmes. En agriculture, observe-t-elle, “les Africaines constituent approximativement 70 % de la main-d’œuvre et produisent environ 90 % des denrées alimentaires, et malgré cela c’est un secteur qui a bénéficié de très peu d’investissements destinés aux femmes”.

Le commerce, source d’égalité ?

Le commerce représente une autre source de financement potentiellement importante pour l’égalité entre les sexes, mais les tentatives d’évaluation de ses effets se heurtent à un manque d’informations et de recherches pertinentes. Globalement cependant, ces effets semblent au mieux mitigés. L’accès au marché des États-Unis grâce à la loi sur la croissance et les possibilités économiques de l’Afrique a contribué dans les années 1990 à créer des emplois dans l’industrie textile.

Mais, à la suite de la libéralisation des échanges dans le textile décidée par l’Organisation mondiale du commerce en 2005, de nombreuses usines textiles se sont délocalisées en Asie. Parallèlement, les barrières dressées par l’Union européenne contre les produits agricoles africains, le secteur le plus important pour les femmes, restent considérables.

Plus généralement, la libéralisation des échanges n’a pas réussi à ouvrir aux femmes des perspectives d’avenir plus larges. Les exportations africaines se limitent le plus souvent aux produits de base, particulièrement énergétiques et miniers, ainsi qu’à quelques produits agricoles commerciaux comme le café et le thé. Ce sont là des secteurs où les femmes sont peu présentes.

Les efforts des Africaines pour faire inclure dans les accords commerciaux mondiaux des règles concernant l’égalité entre les sexes et la réduction de la pauvreté se sont en grande partie heurtés au refus de nombreuses grandes puissances commerciales de prendre en compte les droits humains et sociaux dans la négociation de ces accords. Les Africaines ont remporté quelques succès dans le combat contre certaines injustices en collaborant avec des organisations de la société civile du Nord qui font la promotion du “commerce équitable”.

Programme d’action

Dans le combat pour l’égalité économique, affirme UNIFEM, il semble de plus en plus manifeste que les Africaines et les autres femmes pauvres restent “en marge des économies institutionnelles”. Obtenir les ressources dont les femmes ont besoin pour conquérir leur égalité est d’une importance critique pour les projets de développement de l’Afrique, estime cette organisation. Cela exigera des changements fondamentaux en matière de répartition du pouvoir et de la richesse. Il s’agit notamment :

  • De permettre aux femmes d’accéder au pouvoir politique, y compris par la mise en place de quotas pour les fonctions d’élus et les postes sur nomination
  • S’assurer que les engagements pris en vue d’augmenter l’aide au développement soient intégralement respectés et que cette aide extérieure soit évaluée en fonction de ses effets sur l’égalité entre les sexes
  • S’assurer que les femmes soient à la table des négociations quand les priorités économiques sont définies
  • Accélérer les progrès pour atteindre les cibles des OMD qui concernent l’égalité entre les sexes, la santé et l’éducation
  • Etablir une réglementation des marchés qui permettent aux femmes de participer pleinement et de manière équitable à la vie économique

Pour Mme Muteshi, c’est la conception même des femmes et de l’économie dans le monde qui doit changer. “Les femmes sont presque exclusivement responsables des tâches liées aux soins d’autrui et à la procréation et des activités économiques non rémunérées au sein du foyer, dit-elle. Selon la définition du travail qui est en vigueur, ce travail quotidien de la femme a été sous-estimé et exclu de la comptabilité nationale."

Les initiatives actuelles visant à renforcer le pouvoir d’action des femmes et l’égalité sont de portée trop restreinte, explique Mme Muteshi. “Elles ne tiennent pas suffisamment compte des conditions qui sont à la racine des inégalités.” Tant que le monde n’a pas appris à reconnaître la valeur du travail accompli par les femmes, “nous laissons les femmes à la merci de la pauvreté, la violence et l’impuissance”.