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Migration: au Maroc malgré les réformes les violations persistent

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Migration: au Maroc malgré les réformes les violations persistent

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Maroc
Migrants dans les rues de Rabat, la capitale du Maroc, à la recherche de petits boulots sont en compétition avec les locaux.© Chiade O'Shea/IRIN
Migrants dans les rues de Rabat, la capitale du Maroc, à la recherche de petits boulots sont en compétition avec les locaux.© Chiade O'Shea/IRIN

RABAT, 20 février 2014 (IRIN) - Au Maroc, les migrants continuent d’être victimes de violations des droits de la personne aux mains des forces de l’ordre et d’habitants animés par le ressentiment, malgré les réformes de la politique migratoire dont les organisations locales de défense des droits de l’homme s’étaient félicitées lors de leur annonce il y a cinq mois.

Les efforts récents déployés par le Maroc pour instaurer un système d’asile reconnaissant les réfugiés pour la première fois, ainsi que les projets visant la régularisation d’un certain nombre de migrants sans papier et l’arrêt des expulsions sommaires vers l’Algérie, ont été salués comme autant d’initiatives allant dans le bon sens. Mais les récits de migrants victimes de violences coutumières continuent d’affluer, notamment de la part d’Africains subsahariens cherchant à rejoindre Ceuta et Melilla, les minuscules enclaves espagnoles situées sur la côte méditerranéenne au nord du Maroc.

UneÌýÌýouverte, adressée le 13 février à l’ambassadeur d’Espagne au Maroc par un réseau de huit ONG locales et internationales intervenant en défense des droits des migrants, reprend les témoignages de migrants victimes de mauvais traitements aux mains des forces de l’ordre espagnoles et marocaines. La lettre relate des cas de passage à tabac par la Guardia civil – la police espagnole – de migrants parvenus en Espagne et leur renvoi sommaire vers le Maroc. Elle décrit également les arrestations musclées de migrants par les forces de l’ordre marocaines.Ìý

L’une des organisations signataires de la lettre, Caritas – qui gère un centre d’aide d’urgence pour migrants à Rabat, la capitale marocaine – a reconnu avoir soigné 24 migrants en deux mois, pour des blessures reçues lors d’arrestations de ce type.

La lettre fait référence à des événements survenus le 6 février, lorsque plusieurs centaines de migrants ont tenté de rejoindre Ceuta. Tandis que le gros des migrants fondait sur les clôtures matérialisant la frontière terrestre, un groupe plus réduit a pris la mer pour tenter de contourner à la nage la petite digue marquant la frontière internationale. Au moins 12 d’entre eux ont péri noyés. Caritas a rapporté que plusieurs dizaines de migrants, arrêtés en masse et expulsés de force à Rabat par la suite, leur avaient déclaré que « les forces de l'ordre espagnoles [avaient] visé leurs embarcations et les personnes elles-mêmes avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes alors même qu’elles appelaient au secours, ce qui aurait causé plusieurs décès par noyade ».

« Ils ont lancé des gaz lacrymogènes dans l’eau alors que les personnes nageaient pour sauver leur vie », a confirmé Leo, un Camerounais qui a assisté à la scène, à IRIN.

La Guardia civil a commencé par démentir l’usage de balles en caoutchouc. Le 13 février, le ministre espagnol de l’Intérieur, Jorge Fernandez Diaz, a finalement reconnu devant le Parlement que des balles en caoutchouc avaient été tirées en mer contre des migrants, en parlant toutefois de tirs de sommation et en niant qu’ils puissent avoir causé la mort.

Poursuite des violences

Les déclarations de migrants faisant état de violences systématiques aux frontières de Ceuta et de Melilla sont étayées par les révélations duÌýÌýde Human Rights Watch publié le 10 février. Ce dernier signale de violentes rafles policières dans les camps de fortune des migrants, des vols d’argent et de documents d’identité par la police, et des arrestations de masse au mépris des procédures légales. Marc Fawe, le porte-parole du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Maroc, a lui aussi confirmé une « violence institutionnalisée » à l’encontre des migrants à Ceuta, Melilla et alentours.Ìý

Le Maroc a répondu en mettant en avant les progrès réalisés depuis l’annonce en septembre 2013 de réformes visant sa politique migratoire. « Trois nouvelles lois relatives à la question migratoire ont été adoptées : une loi contre le trafic d’êtres humains, une loi relative au séjour des étrangers et une loi sur le droit d’asile », a indiqué dans un communiqué de presse le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication Mustapha Khalfi.

Depuis septembre, 580 demandeurs d’asile se sont vus accorder le statut de réfugiés. C’est la première fois que des personnes considérées comme des réfugiés par le HCR ont été reconnues comme telles au Maroc. Des cartes d’identité de réfugiés leur ont été remises, et des titres de séjour leur seront accordés par la suite, ce qui leur permettra de travailler et d’accéder à certains services sociaux, notamment à un nombre restreint de soins de santé gratuits. En outre, 25 000 migrants illégaux devraient bénéficier d’une opération exceptionnelle de régularisation en 2014. Parmi les candidats éligibles, il y aura les conjoints de citoyens marocains, les personnes ayant un contrat de travail, et les non-ressortissants en mesure de prouver qu’ils vivent au Maroc depuis au moins cinq ans ou qu’ils souffrent de graves problèmes médicaux.

Le gouvernement marocain a également annoncé avoir mis un terme à la pratique consistant à refouler les migrants sans papiers dans le désert, de l’autre côté de la frontière avec l’Algérie.

Anke Strauss, chef de mission auprès de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Rabat, a accueilli avec circonspection la transition gouvernementale « d’une approche entièrement sécuritaire à une approche [...] davantage axée sur les droits humains ». Mme Strauss a signalé qu’en dehors des poudrières de Ceuta et Melilla, « certaines pratiques et violations des droits de l’homme ont cessé. Les arrestations massives et les déportations vers l’Algérie ne sont plus aussi nombreuses – du moins ici [à Rabat] ».

Dans les rues de Rabat, les migrants ont confirmé. « Avant, la police harcelait tout le monde, mais c’est beaucoup moins le cas maintenant », a dit Leo, à portée de vue de deux policiers qui ont à peine prêté attention au travailleur camerounais.

Cependant, selon l’OIM et Caritas, une nouvelle politique a eu pour effet l’arrestation de masse des migrants campant à proximité des frontières de Ceuta et Melilla ces deux derniers mois. Les migrants sont ensuite déportés de force à Rabat, Fès, Casablanca et Marrakech.

Florent, un autre migrant camerounais, nous a décrit ce qu’il lui était arrivé après avoir été arrêté dans un bateau gonflable non loin de Tanger, une ville portuaire marocaine située à 35 km de l’Espagne continentale, de l’autre côté du détroit de Gibraltar. « Ils nous ont traînés hors de l’eau, nous ont arrêtés et nous ont ramenés à Rabat », a-t-il dit à IRIN. « Ce n’est pas comme s’ils vous demandaient votre avis ; on ne vous laisse pas le choix. »

Concernant les tentatives de passage vers Ceuta, Melilla ou la péninsule, Florent a ajouté : « C’est la même histoire : soit on parvient à passer de l’autre côté de la frontière et ils [la Guardia civil] nous refoulent, soit ils nous arrêtent avant qu’on puisse le faire, mais on est toujours battus ».

Dans l’impasse

La situation migratoire au Maroc est complexe. Il s’agit non seulement d’un important pays d’origine, avec de nombreux Marocains migrant vers l’Europe, mais également d’un important pays de transit pour les migrants d’Afrique subsaharienne poursuivant le même objectif. Nombre d’entre eux se retrouvent dans l’impasse, avec le succès croissant des efforts gouvernementaux pour empêcher la traversée illégale des frontières espagnoles. M. Khalfi, le porte-parole du gouvernement, a annoncé que le Maroc avait « réduit la migration illégale par bateau de 93 pour cent ces dernières années ».

Le Maroc a signé quantité d’accords avec les pays de l’Union européenne visant à renforcer les frontières de l’Europe. En 2012, Rabat et Madrid ont signé un accord de réadmission et un accord de coopération policière autorisant les forces de l’ordre de part et d’autre de la frontière à collaborer pour refouler les migrants en territoire espagnol vers le Maroc.

« Je pense que le Maroc se trouve dans une position particulièrement difficile du fait de l’accord avec l’Espagne l’engageant à tenter de retenir les migrants sur son territoire », a reconnu Mme Strauss.

De moins en moins de migrants africains parviennent à atteindre l’Europe, et pourtant ils continuent d’affluer au Maroc depuis tout le continent. Le ministère de l’Intérieur évalue entre 25 000 et 40 000 le nombre de migrants en situation irrégulière au Maroc, et leÌýÌýindique que le nombre de demandeurs d’asile – des Ivoiriens et des Syriens pour l’essentiel – a triplé dans le pays en 2013.Ìý

Le désespoir pousse les migrants coincés au Maroc à long terme – à l’instar de Leo et Florent – à prendre des risques encore plus grands pour partir. « Ça fait six ans que je vis dans la rue », a dit Leo. « Je dois continuer à tenter ma chance. »

Un sentiment partagé par Florent. « Nous n’avons pas l’argent pour un bateau à moteur, alors on monte dans des bateaux gonflables et on rame nous-mêmes. On ne pleure pas, car on est des hommes, mais on est effondrés. »

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Les deux hommes, qui ont expérimenté la violence des arrestations aux frontières terrestres, ont conscience du danger de ces traversées illégales, mais l’espoir de toucher un salaire en Europe les pousse à continuer d’essayer.

Dans les grandes villes marocaines, les migrants économiques comme Leo et Florent sont en concurrence avec les nationaux pour un nombre restreint d’emplois manuels. Ils disent être victimes de violence et de racisme au quotidien.

Une intégration impossible

Même pour les 10 pour cent de demandeurs d’asile ayant d’ores et déjà obtenu le statut de réfugié – une infime fraction de la population totale de migrants au Maroc – la vie dans les communautés d’accueil est difficile, et l’intégration presque impossible.

Sur le papier, l’histoire de Bernadette*, réfugiée au Maroc, est un modèle de réussite. Elle a reçu l’une des premières cartes de réfugiés émises en septembre 2013, et un permis de séjour lui sera automatiquement délivré une fois que le système, encore tâtonnant, sera opérationnel. Le gouvernement marocain lui verse une aide financière, et elle vend des produits d’Afrique de l’Ouest devant la Fondation Orient-Occident – une organisation caritative locale s’adressant aux migrants – grâce à un microcrédit obtenu auprès du HCR. Pourtant, elle peine encore à couvrir ses besoins de base, est victime de racisme et craint pour l’avenir de l’enfant qu’elle s’apprête à mettre au monde.Ìý

Bernadette a fui la Côte d’Ivoire dans le contexte des violences post-électorales de 2010-2011 qui ont coûté la vie à fils et à son mari. À son arrivée au Maroc en 2012, elle a séjourné chez la sÅ“ur de son mari, qui avait déjà trouvé refuge à Rabat. Mais l’année dernière, sa belle-sÅ“ur a été tuée par une bande de jeunes dans une attaque raciste.Ìý

« Elle était déjà affaiblie par une tumeur au cerveau, mais elle est morte lorsqu’ils l’ont battue à la tête », se souvient Bernadette.

L’intolérance dont sont victimes les migrants et les réfugiés se répercute dans la manière dont ils sont soignés par les établissements de santé. Bien que les réfugiés bénéficient du même droit que les Marocains défavorisés à des soins de base gratuits, ces services sont notoirement limités et le racisme affecte la manière dont ils sont soignés.

« Si vous avez la peau noire, quand vous allez à l’hôpital on ne s’occupe pas de vous », a dit Bernadette. « Je connais une femme qui a accouché dans la salle d’attente. »

Bernadette ignore où se trouve le père de l’enfant qu’elle porte : il a disparu après lui avoir annoncé qu’il allait tenter d’atteindre l’Espagne par la mer. Alors elle se concentre sur son petit commerce.

« Si j’arrive à vendre un peu, je mange et je paie le loyer. Je vais bientôt accoucher, alors je resterai chez mois pendant quelques mois, puis il faudra que je ressorte et que je reprenne », a-t-elle dit.

*nom d’emprunt

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